Quand on a la trentaine et quon a passé son adolescence à Rouen, il y a de fortes chances quon ait gardé sur le cur lempreinte laissée par la scène rock qui explosait sur la ville, dans les années 80. Cet héritage, Vincent Blanchard en a fait son avenir. En 2000, Alias prenait forme. Ou la vie de quatre garçons vouée à la musique. Un vrai groupe de rock, sans pose ni prétention. Une confrérie compacte. Après cinq ans dexistence, des centaines de concerts, un album éponyme, un divorce et un DVD live enregistré en 2004 dans une salle parisienne, Alias est de retour. Comme toujours, loin des télés, de la presse et des radios, préférant attendre son heure plutôt que dêtre encensé comme dautres qui, sur quelques prestations fulgurantes, font vendre du papier et quelques disques. Et qui, broyés par cette implacable moulinette du « Et après ? », sont ensuite jetés à la poubelle dès le deuxième album, incapables de progresser. À cette lumière éphémère, le quatuor rouennais oppose lombre et la sueur dun travail incessant.
Trois ans après le premier opus, le groupe dévoile « Vivre et pourtant ». Une uvre aux textes brillants, à la voix troublante comme de la topaze, aux guitares et rythmiques aussi tranchantes que du diamant. Bref, un vrai petit bijou musical créé de toutes pièces par ces artisans du rock, maîtres à la fois de lécriture, de la conception, de larrangement et de la production. Onze morceaux construits autour de mélodies et dharmonies essentiellement ébauchées par Vincent Blanchard, sur lesquelles il coud ensuite précieusement des textes sur mesures sublimés par les arrangements du quatuor. Un album à la fois très rock et mélodieux, sobre, simple et direct, écrit en français, à la première personne. Imprégné de souffrance, de désirs, de rêve et dillusions comme une urgence à tout donner pour laisser à la vie toute sa beauté première, celle de lespoir et de lamour. Alias est sa musique. Intègre. Entier. Sans maquillage. Un univers aujourdhui plus dense, après un an et demi de transition due au départ de deux membres du groupe, dans lequel se confrontent la fragilité dune voix à la violence du sentiment (Double peine, Vivre et pourtant), la force féline des guitares à une ironie mordante (Et pourquoi pas). Que ça monte comme un bon vieux Muse (Pour un empire) ou que ça se dilate dans une pop guillerette (De lavenir dun rêve), ça reste toujours divin.
Quarante minutes de pure sensualité, portée par cette voix si étonnante, comme tendue sur un fil, capable de caresser les aigus comme les graves en à peine quelques mesures. Les chansons senchaînent sans se lasser et se répondent, équilibrées. Pour se rassurer, certains croiront retrouver dans lunivers dAlias lintimité dun Axel Bauer dans son dernier opus « Achille », dautres, lénergie de Nine Inch Nails ou encore la rêverie acoustique de Divine Comedy. Aucune influence pourtant à y voir, le groupe brouillant joyeusement les pistes, citant tour à tour Brel, Brassens, Dylan, Buckley, Radiohead, Coldplay, Muse ou encore les grandes pointures du jazz. Lensemble nen est que plus riche et étoffé, augurant dun potentiel très prometteur. Vous laurez compris, dans une société où tout se consomme et se consume, la musique dAlias nest pas à consommer sur place. Elle semporte à la maison ou plutôt, elle vous emporte et vous grise la tête par ses chansons résolument têtues et enivrantes. Jusquau magnifique « Double peine » qui clôt un album grave et léger à la fois, prouvant que le rock rouennais, grâce à Alias, a conservé toute sa fraîcheur, sa fierté et sa noblesse.
Guillemette Flamein
