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J é r ô m e d e M i s s o l z
Nuit après nuit, entre "I" et "Sans Titre", nous avons couru les rues de Paris ensemble. Des go go girls chinoises à peine sorties de l'enfance contorsionnaient leurs cheveux platine autour d'immenses boas orange au troisième sous-sol d'un centre commercial tailladé par les stries d'une techno chamanique. Au lever du jour, les trottoirs de la rue Saint-Jacques étaient tapissés de couples aux allures de bébés scandinaves, enlacés devant l'ancien Polly Magoo, vestige étriqué des nuits instrumentales des années 70 devenu, depuis, le terne ersatz de lui-même. L'hiver, aux Caves Lechapelais, d'insensées princesses gothiques exhibaient leurs guipures en vinyle noir pour mieux ensorceler les cohortes d'aspirants vampires aux haleines de bière. Partout, la musique engendrait des images et le regard frénétique de Jérôme de Missolz balayait la tendre décomposition des corps, amoureux non pas tant des voluptés possibles que de la gentille révolte que l'on trouve partout où la tendresse et l'aventure priment sur les froides esthétiques des magazines.
Pour lui, l'image doit exciter ; elle est dense, chromatique, diverse ; rarement estompée, parce que le flou rend mièvre ; souvent saccadée, parce que les arrêts sur image, les brusques décadrages, les changements subits de rapports de cadre galvanisent. Tout concourt à malmener les tyrannies du temps linéaire. Très jeune déjà , Jérôme de Missolz a été l’auteur d’une encyclopédie du rock. Il a puisé dans son hallucinante discothèque la connaissance secrète des sciences combinatoires et sait porter, jusque dans le plus sagement pédagogique de ses documentaires, les variations incessantes de structures et de textures ; de manière à ce que ses films débordent toujours de leur sujet apparent, pour devenir, par la profusion des humeurs qu'ils explorent, des objets à l'image de leur créateur. Ce pourrait être là une définition de ce qui constitue un bon documentaire.
L'homme n'est pas content s'il ne lance pas six films par an. Des fictions. Des collections de captation musicale. Des portraits d'écrivains ou de musiciens. Des films expérimentaux, avec retraitement de l'image. Ou pas. Des enquêtes politiques en cinéma direct. Ou fondées sur des entretiens. Des ballades en banlieue. Des histoires de famille. Boulimie de formes et de sujets. Boulimie de fabrication.
Les quatre documentaires présentés en rétrospective en janvier 2007 à l'Arlequin, dans le cadre de Paris Tout Court, puis en coffret DVD, ont été produits sur une période d'une quinzaine d'années. Ils constituent pourtant une filmographie dans la filmographie – un ensemble à part – non pas parce qu'ils ont en commun un sujet, qui est le travail des photographes, mais parce qu'à travers la photographie, ils viennent à la rescousse du cinéma.
En prenant la photographie pour sujet, et contrairement à ce qui se passe lorsqu'il s'attaque à la littérature ou à la musique, Jérôme de Missolz réussit à effacer la frontière entre forme et sujet. La folie de son ,,il, tour à tour surexcité ou placidement détaché, rejoint celle du photographe et la complicité qui s'engage entre eux n'a plus rien à voir avec l'admiration. Voyeur de nature, pudique et distancié, le cinéaste en est venu, à travers l'étude des images arrêtées, à calquer ses propres gestes sur les gestes artisanaux des photographes qu'il aime et à se couler, dans un glissement non-pensé, en eux.
En filmant Jan Saudek, Joel-Peter Witkin, Jérôme de Missolz trahit des bribes de lui-même : sa fascination devant la matière des murs, la beauté des surfaces retravaillées, l'urgence à retravailler, retravailler la même surface imagée, à coup de lames, à coup d'ordinateur, peu importe.
On ne regarde pas ces monogaphies pour apprendre quelque chose sur les artistes en question, mais pour être avec eux. Pour être eux. C'est donc du cinéma.
Quand Jan Saudek nous dit qu'il aime la nuit et qu'il n'aime pas le jour, on se souvient que le cinéma porte le jour au c,,ur de la nuit et la nuit au sein du jour ; on se rappelle que par la projection, le cinéma vient consoler ceux qui n'en peuvent plus de la lumière naturelle. C'est aussi ce qu'ont en commun les photographes choisis par Jérôme de Missolz. Ils sont contre-nature. Leur beauté est arrachée à l'interdit et au difforme. Ils n'ont rien à faire dans le monde.
Revenons à la question de l'artisanat. Quand Jérôme de Missolz suit Joel-Peter Witkin, on en viendrait à oublier les freaks, les têtes de cheval tranchées, le tourbillon des estropiés. Ce qui reste c'est le geste répété d'un homme dans sa chambre noire. C'est le travail. La compétence amorale à traduire d'intangibles fantaisies en objets qui résistent au temps. Car enfin, dans la fabrication d'une photographie, d'un film aussi, tout est une affaire d'yeux, d'oreilles et de mains. En dehors du champ critique. En dehors du social. Dans la liberté des bâtisseurs.
Avec "Sans Titre", le photographe a disparu. Le fantôme de Francesca Woodman hante un film qui n'est plus documentaire. Ou alors si. Un documentaire qui serait l'aboutissement de tous les autres : où la question de l'artisanat amoral ; de la résistance au temps ; du match de catch que tout fabricant d'images mène contre son époque ; où tout ça est montré, de façon nue, (presque) sans béquille culturelle.
En abordant "Sans Titre", Jérôme de Missolz a enlevé les petites roues. Il a réduit l'appareil à son essentiel. Après tout, avec quoi un homme fait-il du cinéma ? Avec une actrice, une caméra, un bout de scénario. Le scénario de "Sans Titre" ramène la notion de la photographie en action pour la dépasser.
Il consiste à dire, "On va re-fabriquer une douzaine d'images qui ont déjà été faites par une jeune femme morte au travail." Et à partir de là , le film part en volutes, aspirant des pans entiers de la vie du metteur-en-scène, dans une histoire qui n'a plus, en fin de compte, grand chose à voir avec le sujet. Épure du combat résiduel : se raconter, par la voix, par l'image.
On voit dans ce film, dès les premiers plans, le très jeune fils du réalisateur ; puis la baie du Mont St Michel, telle qu'elle apparaît depuis les fenêtres de sa maison ; ensuite un acteur qu'il a aimé, le carrelage du sol de sa salle à manger, le grain de sa table, la cabane d'un voisin… tout le concret d'une vie entraîné par ce film-feu-de-tout-bois vers l'énigme d'un désir d'images.
Plus grand chose à voir avec la photographie comme sujet, telle qu'elle apparaissait, quinze ans auparavant, dans les monographies. Sauf que si. Car finalement, le photographe que Jérôme de Missolz place devant son objectif est toujours un double. Au-delà de la passion des corps libres et du travail sans entrave, ce qui émane de ces films est de l'ordre de la prestidigitation : le temps d'un moment obscur, on aura réussi à avoir été Saudek, Witkin ; on aura été la fille qui se montre en images et celle qui, à travers les images, tente en vain de se sauver. Arrivé au générique de fin, chacun de ces films nous aura transformés en sujet. En son sujet. Et ce n'est pas rien.
Pierre Hodgson
Cinéaste et scénariste
extrait de Zeuxis - décembre 2006