About Me
Brel est mots
Crus et bien cuits, sur tons crus... ou blêmes. Adoncques, coupez-lui le verbe, lui castrer la truculence, lui raser la mauvaise herbe. Brel sans paroles, tout nu comme un con, les mains planquant pauvrement ses attributs. Bref, l’exposer au ridicule, lui faire subir ce qu’il avait souvent infligé à ses sujets. Post mortem, en plus. J’avoue avoir fait la moue, à l’annonce de ce projet Brel instrumental.
Quand même, l’affaire était drivée par Patrick Artero, trésor bien caché de la planète jazz. Moins, cependant, depuis qu’il nous avait il y a deux ans offert une relecture quasi-baroque et racée du cousin « Chicagoan » de Debussy, Bix Beiderbecke, trompettiste-cornettiste comme lui, bref, un bel exercice de style salué à sa juste valeur par les autorités du jâââze. Et, accessoirement, le premier disque à son nom d’un (largement) quinquagénaire au souffle alerte.
Avant de nous pencher sur ce cas Brel, flash-back sur cet intrépide fils du sud (l’Espagne) né loin à l’est (Vietnam), qui envoya ses premières salves notables avec les joyeux drilles des Haricots Rouges (au point de relooker jazz New Orleans, tiens tiens... Brassens ). Patrick Artero a longtemps pris la vie comme elle venait, c’est-à -dire en compagnon de route, pour Stan Getz, Solal, Salvador, Bolling, Guy Laffite, René Urtreger. Et fol élève de Fol (Raymond), pianiste qui lui répétait « ne cherchez pas à jouer note par note » et lui a enseigné... la démerde. Artero a aussi titillé son sang méridional et s’est retrouvé pionnier de la scène salsa parisienne avec La Manigua dans ces exaltantes années 80, où on ouvrait des chemins. Puis ce fut le big band latino-parisien Mambomania, autre belle aventure quoique moins novatrice. Pendant des années, il a aussi soufflé pour tout ce qui bougeait, Alpha Blondy, Zouk Machine, Touré Kunda, Ray Lema, Kassav’ et autres afro-créolitudes.
Nous voici de retour dans le post-Bix. Peuchère, Patrick Artero a un contrat d’artiste avec Nocturne. Avec son jeune complice Sébastien Vidal (programmateur de TSF, « ze » radio jazz), intronisé directeur artistique, ils se grattent la tête. Artero n’a pas peur d’être labellisé « l’homme des reprises ». Ils écument la chanson française. Patrick pense d’abord à Paul Misraki, dont la version de « l’étang » par Blossom Dearie l’obsède, mais le complice de Ray Ventura est un peu oublié. Brassens ? Déjà fait avec les Haricots Rouges. Ferré ? Franchement, il ne connaît pas assez bien. Alors Brel ? Il se plonge et replonge dans l’intégrale. Il écarte les bondieuseries anticuré (« Si j’étais le bon Dieu », « Les cathédrales »), et les tubes grosses ficelles « Rosa », « Les bonbons », « Ne me quitte pas ». Il passe de soixante à quarante puis à vingt thèmes. Pour rhabiller Brel, big deal ! Le contrebassiste-arrangeur Vincent Artaud se plonge dans l’affaire. LÃ
où le Bix se jouait en quartet, pour Brel, Vincent Artaud propose, en plus de la rythmique, une sonorité inédite qui donne toute sa singularité au projet : trombone, basson, clarinette, flûte et violon alto. Ni baroque ni précieux, mais festif et classieux, avec une gamme infinie de reflets. Là où Artero donne le ton, Artaud colorie. Une vraie association de malfaiteurs, tous deux respectueux trafiquants de mélodies. Ne manque plus qu’une rythmique d’orfèvres, plus l’éblouissant ciseleur de notes qu’est le pianiste Giovanni Mirabassi et en inattendu bonus pimenté accélérant le rythme cardiaque, les paluches effusives du percu argentin Minino Garay. Et, tout de même, des mots de Brel. Avec les autres, celles du patrimoine, il ne vous reste plus qu’à faire affleurer voire refleurir les mots sur ce canapé foisonnant. Le cousin Gaspard, la Mer du Mord, les Flamandes qui dansent sans rien dire. Patrick Artero et ses acolytes ont concocté un disque musicalement...incorrect où Brel danse sur la dissonance, où le jazz donne un autre tempo
au souffle du plat pays.
Rémy Kolpa Kopoul
ConneXionneur
Radio Nova - Paris