Big Band chez Sanseverino.
Oui, vous avez bien lu. Big Band et cela aurait pu tout aussi bien être « big bang » tant ce troisième album ressemble à une sorte de révolution personnelle et musicale, entreprise avec le complice de toujours, Dominique Fillon, réalisateur artistique.
Sanseverino avait ce besoin irrépressible d’aller visiter de nouvelles contrées musicales qui puissent se marier avec ce swing manouche qui le fit naître. Mais lorsque l’on prononce le mot Big Band, une sorte de malentendu se fait jour. Attention, ici nulle volonté de se présenter comme le chanteur revenu de tout, revisitant ses classiques pour s’excuser d’être victime d’un embourgeoisement naturel et faisant preuve d’une envie de performance. Avec Sanseverino, c’est tout le contraire. Il avait simplement et nécessairement le besoin de mettre un tigre dans le moteur de ses chansons. Alors quinze cuivres pour donner en quelque sorte de jolies claques au swing naturel du monsieur, c’était la solution. Plus Brian Seltzer que Sinatra. Davantage Schulz et ses « tontons flingueurs » que la bande du « Rat pack » de Las Vegas où Dean Martin jouait des coudes avec Sammy Davis. Un Big Band, oui, mais rock’n’roll et pas seulement dans l’attitude. Car Sanseverino n’est pas un crooner frustré. Il n’aime pas chanter lentement et dans le souffle. Lui son truc, c’est le flow, le débit. Une sorte de slammer du swing. Alors pour servir cette dextérité vocale, Sanseverino a provoqué la rencontre entre le Big Band, le swing et le rock’n’roll, comme Nougaro s’était amusé à imaginer le choc entre le jazz et la java.
Porteur de mots, Sanseverino a aussi envisagé le travail différemment. Voilà un album qu’il a pris le temps d’écrire et de composer. Sans courir entre deux tournées et trois projets de collaboration. Notre homme s’est posé et a pris le temps de vivre sa vie pour mieux retrouver l’inspiration. La recette était simple : ne pas avoir de recette, justement, et se surprendre soi-même. Sanseverino a donc laissé son imaginaire être porté par l’écriture automatique. Des phrases, des phrases écrites sans but, surtout sans la volonté de raconter des histoires, et guidées par l’instinct et cet amour immodéré pour les mots qui se croisent et s’entrechoquent. Sanseverino, orfèvre des mots, vous présente ses instruments de travail : la colle, les ciseaux et le stylo. Il se trouve que c’était la méthode de travail de l’auteur artisan Gainsbourg… Sanseverino l’ignorait. Il y a des correspondances magiques. Et au bout de ces manuscrits immenses qui parfois ne tiennent pas dans un sac à main, des collages de strophes, de couplets, de refrains qui trouvent leur sens dans des chansons qui tout à coup racontent des histoires. De vraies histoires. Jubilatoires ou nostalgiques, c’est selon. Le style Sanseverino.
Sur cet album l’auteur exulte et prend sa réelle dimension. Il entame son disque par un singulier acappella au titre presque provocateur « Démolissons les mots » pour une java jubilatoire. Un exercice de style où le mot règne et partage son trône avec la diction. Il y a là tout Sanseverino. Comme dans « Comment séduire une femme mariée ? », chanson fondatrice du projet et question uniquement et évidemment fantasmatique… Ensuite, il y a « Exactement », sorte de chanson angulaire de la démarche de ce disque. Mot pour mot, voici ce que Sanseverino avait envie d’écrire depuis trois ans, suite à une rencontre avec des slammers du groupe marseillais « Vibrillon » et tout à coup la liberté poétique fut sans limite. L’histoire aussi d’une chanson écrite à Venise, qui ne parle pas de Venise mais dont les riffs de cuivres sont nés d’une mandoline. Magique. Comme cette chanson « 10 jours avant Paris » où Sanseverino assume sa capacité à émouvoir sans autre artifice que les mots et leurs interprétations. Sanseverino, touché par la grâce de son évocation d’une échappée solitaire tragique, ressuscite l’âme d’un Antoine Blondin en danseuse sur un swing lent et essoufflé. Nostalgie quand tu nous tiens, Sanseverino n’est jamais loin. Il évoque ainsi « Les ouvriers », sujet oublié dans les chansons d’aujourd’hui… Loin d’être une chanson engagée, Sanseverino s’emploie à y trouver le ton juste entre Germinal et ce temps où le bonheur de l’été 36 faisait swinguer le rouge, la galère et la suie. Un peu comme dans « Le swing du président », en hommage au blues du syndicat de François Béranger. Voici une chanson parlée, sorte d’argumentaire pour les béotiens de la question nucléaire. L’utopie est bien le territoire de la chanson. Comme la déconnade qui fait que le personnage principal des albums de Sanseverino revient. André est aujourd’hui « superstar » puisqu’il fait enfin son coming out. Cette fois il est Jésus Christ donc il est éternel et il se peut bien qu’il ressuscite parce que notre Sanseverino est aussi faiseur de miracles… Humour encore avec une chanson à part mais carrément irrésistible. En rupture de Big Band « Cette conne m’ennuie » fut à l’origine une chanson composée pour que Sanseverino puisse jouer de la contrebasse sur scène. Musclée par l’enregistrement, ce petit court-métrage à la tonalité gainsbourienne est le fruit des souvenirs personnels de Sanseverino. Il se souvient de rencontres ratées, des histoires sans lendemain, de cette séduction faussée parfois par le statut de chanteur. Mais notre homme sait bien de quoi il parle. Il l’évoque sans respirer dans « Il se la pète », un sprint plumitif de diction pour raconter l’histoire de l’homme qui se croit tout permis du moment que sa réussite personnelle n’est pas compromise.
Sanseverino, touché tardivement par la reconnaissance, a gardé le sens des valeurs humaines. La fidélité comme une règle de vie avec toujours le même producteur et le même réalisateur artistique. La simplicité est chez lui une vraie vertu. L’humour une sacré politesse. La joie une seconde nature. Mais avec cette fois-ci une certaine affection pour la nostalgie qui n’est plus ce qu’elle était. C’est un peu le sens de la reprise de la chanson d’Amalia Rodriguez « La maison sur le port ». Une chanson de fille, entre fado et réminiscence tzigane. Une forme de « Saudade ». Celle qui vient du bleu azur de la Méditerranée, des faubourgs populaires du sud de l’Italie. Avec l’odeur de la pasta et du basilic accrochée à une vieille marmite, du linge qui pend aux fenêtres… Et de loin en loin un vieil air échappé d’une radio. Dean Martin qui marmonne ? Une valse des années 70 ? Un saxo qui pleure ? Une contrebasse un peu rythmique ? Une rengaine qui résiste ? Un peu tout cela à la fois. Vous savez ? En fait, le swing de Sanseverino. Exactement. Ou exactemando. Au choix.