Nous sommes à Marseille dans les années 1912-1913, la revue Massilia confie à un jeune
homme la rubrique de la critique dramatique de l’Opéra et du Théâtre du Gymnase.
C’est un très jeune bachelier à la mèche noire rebelle et au regard d’anthracite, fou de
musique, de théâtre et de poésie.
Il signe ses critiques du nom de Castro, d’une plume acérée et souvent caustique.
Il n’épargne ni le ténor trop chenu, ni la soprano pléthorique, ni le chef ingérable. Il a du
style ce Castro.
Il ne deviendra jamais ni un architecte célèbre ni un dictateur contestable.
Ce petit Castro deviendra Marcel Pagnol : un auteur dramatique joué dans le monde
entier et dont la pérennité est éclatante.
Il serait ce soir heureux et fier sous les ors de cet Opéra, d’être ici avec nous.
Il eût aimé rencontrer Vladimir Cosma dont il appréciait le talent et qui a su si bien
illustrer La Gloire de mon père et Le Château de ma mère dans les films parfaits d’Yves Robert, comme il a su rythmer les répliques de la Trilogie – travail difficile et minutieux, car chaque syllabe est une note, chaque note a un sens et de cette succession de notes naît une émotion.
A présent, la boucle est bouclée, Castro a enfin rejoint l’Opéra de son adolescence où tous les espoirs brillaient dans le ciel de Marseille.
JACQUELINE PAGNOL
Ma première rencontre musicale avec l’œuvre de Marcel Pagnol s’est faite grâce au cinéma à l’occasion du film La Gloire de mon père d’Yves Robert. Elle s’est poursuivie avec Le Château de ma mère toujours pour le cinéma et ensuite La Femme du boulanger et La Trilogie marseillaise (Marius, Fanny, César) pour la télévision.
J’ai été immédiatement séduit par l’émotion et l’humanité qui émanent de cet univers ensoleillé où le drame et la comédie doivent coopérer, se rencontrer, s’enrichir l’un l’autre.
Les situations, les dialogues, le théâtre de Pagnol sont très musicaux, ses textes appellent la musique et le chant.
D’où le désir de construire une oeuvre lyrique dans laquelle persisterait quelque chose de l’ancien opéra-comique, sans garder la tradition des dialogues parlés.
On dit souvent que le cinéma est l’opéra d’aujourd’hui mais je pense que l’on peut écrire un opéra d’aujourd’hui, sans se référer nécessairement au cinéma.
Dans Marius et Fanny, couple et sujet aussi universel que Roméo et Juliette ou Porgy and Bess, l’amour entre tous les personnages, quels que soient leurs travers, leur pudeur, fonde l’oeuvre, ainsi que le désir, l’appel de la mer, le rêve d’évasion… Dans la vie quotidienne du Vieux-Port et du bistrot de César, passent tous les thèmes de l’amitié et de la passion contrariée, celui de l’homme écartelé entre l’attachement à ses racines et le désir d’aventures.
J’ai toujours eu envie de me plonger dans toutes les formes de musique, quoique les barrières entre les musiques “populaires†(musique de films, jazz, chanson) et la musique “sérieuse†soient, jusque dans un passé proche, inflexibles, imperméables.
C’est ainsi que tout en composant La Boum, Rabbi Jacob, Le Grand Blond avec une chaussure noire, Le Dîner de cons ou L’Amour en héritage je me suis permis d’écrire des oeuvres symphoniques ou de musique de chambre, et maintenant un opéra !
Je dois aussi avouer que j’ai composé un certain nombre d’“airs†pour Marius et Fanny, ce qui est quasiment impardonnable pour une certaine élite de la “pensée conceptuelle contemporaineâ€.
Sachez que je ne ressens aucune honte de l’avoir fait, dans la mesure où ces “airs†servent l’histoire, les interprètes et touchent le public.
Monteverdi, réformateur, créateur de l’opéra moderne, et fondateur du premier théâtre public invoquait la vox populi, en disant “le public a raison : s’il contredit l’élite, c’est à l’élite de se taireâ€.
J’ai conçu ces airs comme une sorte d’émanation de la situation qui la précède, faisant
partie intégrante de l’action et de la facture musicale.
Située à Marseille, l’action autorisait un coloris “provençalâ€, un dépaysement pittoresque dont il ne fallait pas, à mon sens, abuser.
Concernant la construction du livret, tout en éliminant les intrigues secondaires pour la concentration et la clarté de l’action, j’ai résisté avec acharnement à la tentation d’adapter ou de versifier les dialogues de Pagnol, qui sont restés le plus près possible de l’original.
Michel Lengliney a été le collaborateur indispensable de la première heure, ainsi que le regretté Michel Rivgauche.
Jean-Pierre Lang, principal auteur des paroles des airs, a réussi à s’intégrer avec talent et modestie dans l’univers de Pagnol.
Sur le plan musical, il ne s’agit pas d’une reconstitution à l’identique ou d’une parodie de style musical des années 1930, mais d’une paraphrase en partant parfois de formes ou rythmes de l’époque (valses, ragtimes, tarentelles brisées, etc.).
Je pourrais appeler ma démarche stylistique : A la recherche d’un temps musical perdu, où la “modernité†naît de la difficile quête d’un ton clair et aisé, ainsi que d’une alliance de l’intensité dramatique et de la légèreté.
VLADIMIR COSMA