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Joris-Karl Huysmans

Et de peur que le chat n'abîmât plus longtemps l'étoffe avec ses griffes ils se dirigèrent ventr

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Le garçon mit sa main gauche sur la hanche, appuya sa main droite sur le dos d'une chaise et il se balança sur un seul pied, en pinçant les lèvres.- Dame, ça dépend des goûts, dit-il; moi, à la place de monsieur, je demanderais du Roquefort.- Eh bien, donnez-moi un Roquefort.Et M. Jean Folantin, assis devant une table encombrée d'assiettes où se figeaient des rogatons et de bouteilles vides dont le cul estampillait d'un cachet bleu la nappe, fit la moue, ne doutant pas qu'il allait manger un désolant fromage; son attente ne fut nullement déçue; le garçon apporta une sorte de dentelle blanche marbrée d'indigo, évidemment découpée dans un pain de savon de Marseille.M. Folantin chipota ce fromage, plia sa serviette, se leva, et son dos fut salué par le garçon qui ferma la porte.Une fois dehors, M. Folantin ouvrit son parapluie et pressa le pas. Aux lames aiguës du froid vous rasant les oreilles et le nez, avaient succédé les fines lanières d'une pluie battante. L'hiver glacial et dur qui sévissait depuis trois jours sur Paris se détendait et les neiges amollies coulaient, en clapotant, sous un ciel gonflé, comme noyé d'eau.M. Folantin galopait maintenant, songeant au feu qu'il avait allumé, chez lui, avant que d'aller se repaître dans son restaurant.A dire vrai, il n'était pas sans craintes; par extraordinaire, ce soir-là, la paresse l'avait empêché de réédifier, de fond en comble, le bûcher préparé par son concierge. Le coke est si difficile à prendre, songeait-il; et il grimpa, quatre à quatre, ses escaliers, entra, et il n'aperçut, dans la cheminée, aucune flamme.- Dire qu'il n'existe pas de femmes de ménage, pas de portiers qui sachent apprêter un feu, grogna-t-il, et il mit sa bougie sur le tapis et, sans se déshabiller, le chapeau sur la tête, il renversa la grille, l'emplit à nouveau, méthodiquement, lnénageant dans sa construction des prises d'air. Il baissa la trappe, consuma des allumettes et du papier et il se dévêtit.Soudain, il soupira, car il arrachait à sa lampe de profonds rots.- Allons, bon, il n'y a pas d'huile! Ah bien, en voilà une autre, c'est complet maintenant! et il considéra, navré, la mèche qu'il venait de lever, une mèche éventée et jaune, à la couronne calcinée et tailladée de dents noires.- Cette vie est intolérable, se dît-il, en cherchant des ciseaux; tant-bien que mal, il répara son éclairage, puis il se jeta dans un fauteuil et s'abîma dans ses réflexions.La joumée avait été mauvaise; depuis le matin, il broyait du noir; le chef du bureau où il était commis, depuis vingt ans, lui avait, sans politesse, reproché son arrivée plus tardive que de coutume.M. Folantin s'était rebiffé et, tirant son oignon: "Onze heures juste", avait-il dit, d'un ton sec.Le chef avait à son tour extrait de sa poche un puissant remontoir.- Onze vingt, avait-il riposté, je vais comme la Bourse et, d'un air méprisant, il avait consenti à, excuser son employé, en s'apitoyant sur l'antique horlogerie qu'il exhibait.M. Folantin vit, dans cette ironique manière de le disculper, une allusion à sa pauvreté et il répliqua vivement à son supérieur qui, n'acceptant plus alors les écarts séniles d'une montre, se redressa et, dans des termes comminatoires, reprocha de nouveau à M. Folantin d'être inexact.La séance, mal commencée, avait continué d'être insupportable. Il avait fallu, sous un jour louche salissant le papier, copier d'interminables lettres, tracer de volumineux tableaux et écouter en même temps les bavardages du collège, un petit vieux qui, les mains dans les poches, s'écoutait parler.Celui-là récitait tout entier le journal et il l'allongeait encore par des jugements de son crû, ou bien il blâmait les formules des rédacteurs et il en citait d'autres qu'il eût été heureux. de voir substituer à celles qu'il expédiait; et il entrenlêlait ces observations de détails sur le mauvais état de sa saiité qu'il déclarait s'améliorer un tantinet pourtant, grâce au constant usage de l'onguent populéum et aux ablutions répétées d'eau froide.A écouter ces intéressants propos, M. Folantin finissait par se tromper; les raies de ses états godaient et les chiffres couraient à la débandade, dans les colonnes; il avait dû gratter des pages, surcharger des lignes, en pure perte d'ailleurs, car le chef lui avait retourné son travail, avec ordre de le refaire.Enfin, la journée s'était terminée et, sous le ciel bas, au milieu des rafales, M. Folantin avait dû piétiner dans des parfaits de fange, dans des sorbets de neige, pour atteindre son logis et son restaurant et voilà que, pour comble, le dîner était exécrable et que le vin sentait l'encre.Les pieds gelés, comprimés dans des bottines racornies par l'ondée et par les flaques, le crâne chauffé à blanc par le bec de gaz qui sifflait audessus de sa tête, M. Folantin avait à peine mangé et maintenant la guigne ne le lâchait point; son feu hésitait, sa lampe charbonnait, son tabac était humide et s'éteigtiait, mouillant le papier à cigarette de jus jaune.Un grand découragement le poigna; le vide de sa vie murée lui apparut, et, tout en tisonnant le coke avec son poker, M. Folantin, penché en avant sur son fauteuil, le front sur le rebord de la cheminée, se mit à parcourir le chemin de ses quarante ans, s'arrêtant, désespéré, à station.Son enfance n'avait pas été des plus de père en fils, les Folantin étaient sans le sou, les annales de la famille signalaient bien, en remontant à des dates éloignées, un Gaspard Folantin qui avait gagné dans le commerce des cuirs presqu'un million; mais la chronique ajoutait qu'après avoir dévoré sa fortune, il était resté insolvable; le souvenir de cet homme était vivace chez ses descendants qui le maudissaient, le citaient à leurs fils comme un exemple à ne pas suivre et les menaçaient continuellement de mourir comme lui sur la paille, s'ils fréquentaient les cafés ou couraient les femmes.Toujours est-il que Jean Folantin était né dans de désastreuses conditions; le jour où la gésine de sa mère prit fin, son père possédait pour tout bien un dizain de petites pièces blanches. Une tante qui, sans être sage-femme, était experte à ce genre d'ouvrage, dépota l'enfant, le débarbouilla avec du beurre et, par économie, lui poudra les cuisses, en guise de lycopode, avec de la farine raclée sur la croûte d'un pain. - Tu vois, mon garçon, que ta naissaiice fut humble, disait la tante Eudore, qui l'avait mis au courant de ces petits détails, et Jean n'osait espérer déjà, pour plus tard, un certain bienêtre.Son père décéda très jeune et la boutique de papeterie qu'il exploitait rue du Four lut vendue pour liquider les dettes nécessitées par la maladie; la mère et l'enfant se trouvèrent sur le pavé; Madame Folantin se plaça chez les autres et devint demoiselle de magasin, puis caissière dans une lingerie et l'enfant devint pensionnaire dans un lycée; bien que madame Folantin fût dans une situation réellement malheureuse, elle obtint une bourse et elle se priva de tout, économisant sur ses maigres mois, afin de pouvoir parer plus tard aux frais des examens et des diplômes.Jean se rendit compte des sacrifices que s'imposait sa mère et il travailla de son mieux, emportant tous les prix, compensant aux yeux de l'économe le mépris qu'inspirait sa situation de pauvre hère, par des succès au grand concours. C'était un garçon très intelligent et, malgré sa jeunesse, déjà rassis. A voir la misérable existence que menait sa mère, enfermée, du matin au soir, dans une cage de verre, toussant, la main devant la bouche, sur des livres, demeurant timide et douce dans l'insolent brouhaha d'un magasin plein d'acheteurs, il comprit qu'il ne fallait compter sur aucune clémence du sort, sur aucune justice de la destinée.Aussi eut-il le bon sens de ne pas écouter les suggestions de ses professeurs qui le chauffaient en vue d'exhausser leur réputation et de gagner des grades et, tâchant d'arrache-pied, il passa son baccalauréat, après sa seconde.Il lui fallait sans tarder une place qui allégeât le pesant fardeau que supportait sa mère; il demeura longtemps sans en découvrir, car son aspect chétif ne prévenait pas en sa faveur et sa jambe gauche boitait, par suite d'un accident survenu au collège, dans son enfance; enfin, la malchance sembla tourner; Jean concourut pour une place d'employé dans un ministère et il fut admis avec les appointements de quinze cents francs.Quand son fils lui annonça cette bonne nouvelle Madame Folantin sourit doucement: "Te voilà ton maître, dit-elle, tu n'as plus besoin de personne, mon pauvre garçon, il était grand temps"; et en effet sa santé débile s'altérait de jour en jour un mois après, elle mourut des suites d'un gros rhume gagné dans la cage ventilée où elle demeurait, l'hiver comme l'été, assise.Jean resta seul; la tante Eudore était enterrée depuis longtemps; ses autres parents étaient ou dispersés ou morts; il ne les avait d'ailleurs pas connus; c'est tout au plus s'il se souvenait du nom d'une cousine actuellement en province, dans un monastère.Il se fit quelques camarades, quelques amis, puis arriva le moment où les uns quittèrent Paris et où les autres se marièrent; il n'eut pas le courage de nouer de nouvelles liaisons et, peu à peu, il s'abandonna et vécut seul.- C'est égal, la solitude est douloureuse, pensait-il maintenant, en remettant, un à un, des bouts de coke sur sa grille, et il songea à ses anciens camarades. Comme le mariage brisait tout! On s'était tutoyé, on avait vécu de la même existence, l'on ne pouvait se passer les uns des autres et c'est à peine si l'on se saluait à présent lorsqu'on se rencontrait. L'ami marié est toujours un peu embarrassé, car c'est lui qui a rompu les relations, puis il s'imagine aussi qu'on raille la vie qu'il mène et enfin, il est, de bonne foi, persuadé qu'il occupe dans le monde un rang plus honorable que celui d'un célibataire, se disait M. Folantin, qui se rappelait la gêne et un peu la morgue d'anciens camarades entrevus depuis leur mariage. Tout cela, c'est bien bête! Et il sourit, car le souvenir de ces compagnons de jeunesse le ramenait forcément au temps où il les fréquentait.Il avait vingt-deux ans alors et tout l'amusait. Le théâtre lui apparaissait comme un lieu de délices, le café comme un enchantement, et Bullier, avec ses filles cabrant le torse, au son des cymbales et chahutant, le pied, en l'air, l'allumait, car dans son ardeur, il se les figurait déshabillées et voyait sous les pantalons et sous les jupes la chair se mouiller et se tendre. Tout un fumet de femme montait dans des tourbillons de poussière et il restait là, ravi, enviant les gens en chapeaux mous qui cavalcadaient en se tapant sur les cuisses. Lui, boitait, était timide, et n'avait pas d'argent. N'importe, ce supplice était doux, puis de même que bien des pauvres diables, un rien le contentait. Un mot jeté au passage, un sourire lancé par-dessus l'épaule, le rendaient joyeux et, en rentrant chez lui, il rêvait à ces femmes et s'imaginait que celles-là qui l'avaient regardé et qui lui avaient souri étaient meilleures que les autres.Ah! si ses appointements avaient été plus élevés! Dépourvu d'argent comme il l'était, ne pouvant prétendre à lever des filles dans un bal, il s'adressait aux affûts des corridors, aux malheureuses dont le gros ventre bombe au ras du trottoir; il plongeait dans les couloirs, tâchant de distinguer la figure perdue dans l'ombre; et la grossièreté de l'enluminure, l'horreur de l'âge, l'ignominie de la toilette et J'abjection de la chambre ne l'arrêtaient point. Ainsi que dans ces gargotes où son bel appétit lui faisait dévorer de basses viandes. sa faim charnelle lui permettait d'accepter les rebuts de l'amour. Il y avait même des soirs où sans le sou, et par conséquent sans espoir de se satisfaire, il trainait dans la rue de Buci, dans la rue de l'Egout, dans la rue du Dragon, dans la rue Neuve-Guillemin, dans la rue Beurrière, pour se frotter à de la femme; il était heureux d'une invite, et, quand il connaissait une de ces raccrocheuses, il causait avec elle, échangeait le bonsoir, puis il se retirait, par discrétion, de peur d'effaroucher la pratique, et il aspirait après la fin du mois, se promettant, dès qu'il aurait touché son traitement, des bonheurs rares.Le beau temps! - Et dire que maintenant qu'il était un peu plus riche, maintenant qu'il pouvait goûter à de meilleures pâtures et s'épuiser sur des couches plus fraîches, il n'avait plus envie de rien! L'argent était arrivé trop tard, alors qu'aucun plaisir ne le séduisait.

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En Rade is arguably my only great book---but it is a masterpiece.

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