1796-1821 : Les premières années
Stendhal naît à Grenoble dans une famille bourgeoise qu'il apprécie peu. Sa mère, qu'il aimait beaucoup, meurt alors qu'il a 7 ans. En 1796, il entre à l'École Centrale de Grenoble. De 1800 à 1801, il part en Italie pour faire la campagne d'Italie où il est nommé sous-lieutenant au sein du 6e régiment de dragons. Revenu à Paris, il essaie de se faire une place, dans le négoce, dans le succès littéraire ou en séduisant des femmes. Ces années d'apprentissage auront une grande influence sur le personnage de Julien Sorel dans le Rouge et le Noir. Il est nommé auditeur au Conseil d'Etat le 3 août 1810. À partir de 1810, il participe à l'administration et aux guerres napoléoniennes. Lors de la chute de la Campagne de France, en 1814, il part en Italie où il s'installe à Milan où il retrouve sa maîtresse Angéla Pietragrua.
L'année suivante il fait graver sur ses cartes de visite : « Waterloo, c’est trop dommage. Six mois de plus et j’aurais été nommé au Mans préfet de la Sarthe ».
Pendant cette période, il écrit plusieurs œuvres autour de l'Italie ainsi que De l'amour. En 1821, parce qu'il est accusé de sympathie pour les carbonari — affection particulièrement ressentie dans la nouvelle Vanina Vanini, il est expulsé de Milan.
1821-1831 : L'essor littéraire
De retour à Paris, presque ruiné après le décès de son père, il entre dans le milieu littéraire en fréquentant des salons littéraires. Ainsi, il a son cénacle et a même un disciple en la personne de Prosper Mérimée. Il écrit des journaux, publie des essais. En 1827, il publie son premier roman, Armance, suivi en 1830 du Rouge et le Noir, en partie influencé par la révolution de juillet 1830. Ce roman connaîtra un beau succès. Après cette révolution, il est nommé consul à Civitavecchia.
1831-1842 : Dernières œuvres, derniers voyages
À Civitavecchia, il s'ennuie et part voyager. Il ne réussit pas à terminer les œuvres qu'il commence (Souvenirs d'égotisme, Lucien Leuwen...). Après avoir achevé son dernier roman, la Chartreuse de Parme, en 1839, il meurt dans la nuit du 22 au 23 mars 1842 par une attaque. Sa dépouille est enterrée au cimetière de Montmartre à Paris.
Les romans de Stendhal
L'œuvre de Stendhal consiste aussi bien en des textes autobiographiques (la Vie de Henri Brulard par exemple) que dans des romans qui comptent parmi les plus beaux dans la littérature française : le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen, la Chartreuse de Parme.
Le Rouge et le Noir est le premier grand roman de Stendhal. Il est le premier roman à lier de facon si subtile description de la réalité sociale de son temps et l´action romanesque selon Auerbach dans sa célèbre étude Mimesis. Julien Sorel, le héros principal du livre, est le pur produit de son époque en un certain sens. Littéralement ivre d´ambition à cause de la lecture du Mémorial de Saint-Hélène de Napoléon et conscient que depuis la Révolution c´est le mérite et non plus la naissance seule qui compte, il rêve de devenir lui-même un nouveau Bonaparte.
Réalisme chez Stendhal
Stendhal n´a pas seulement « appliqué » une certaine esthétique réaliste: il l´a pensée d´abord. Le réalisme de Stendhal c´est aussi la volonté de faire du roman un « miroir » c´est-à -dire un simple reflet de la réalité sociale et politique d´une époque dans toute sa dureté.
Dans Racine et Shakespeare, il assigne pour devoir à l´art romantique de faire un art qui sera en adéquation avec les goûts et tendances des peuples. Le réalisme de Stendhal c´est d´abord la volonté de peindre de faits capables d´intéresser ses contemporains (Monarchie de Juillet dans Lucien Leuwen, Restauration dans Le Rouge et le Noir, défaite et retour des Autrichiens dans La Chartreuse de Parme).
Par contre Stendhal dépeint avec souci de réalisme psychologique les sentiments des personnages principaux. Il s´inspire même souvent des théories relatives à l´amour de son traité De l´Amour et essai de faire œuvre de psychologue rigoureux.
Les sentiments amoureux sont dépeints avec beaucoup de soin : le narrateur expose longuement la naissance de la passion amoureuse et ses péripéties : cf. Mme de Rênal et Julien- Julien et Melle de La Mole- Lucien Leuwen et Mme de Chasteller- Fabrice et Clélia.
Le Réalisme dans la peinture des mœurs et de la société. Le Rouge et le Noir et Lucien Leuwen sont une peinture acerbe de la société sous la Restauration. cf. le sous-titre de Le Rouge et le Noir : Chronique de 1830. Lucien Leuwen est le vaste tableau de la Monarchie de Juillet. La Chartreuse de Parme est une peinture des mœurs politiques dans les Monarchies italiennes du XIX. siècle. Ces romans sont donc politiques non pas par la présence de longues réflexions politiques (Stendhal rejette un tel procédé et le compare à un coup de feu dans un concert dans Le Rouge et le Noir) mais par la peinture des faits.
Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme est aussi une critique acerbe de la subordonnée position de la femme : cf. l´interprétation féministe par Simone de Beauvoir des romans de Stendhal (in Le Deuxième sexe).
La peinture des mœurs chez Stendhal ne se veut jamais impartiale mais critique: elle n´est pas motivée par volonté sociologique mais par souci de faire tomber les faux-semblants et de montrer « la vérité, l´âpre vérité » (devise du premier livre de Le Rouge et le Noir) de la société de son temps.
Malgré son réalisme il n´a y pas de descriptions détaillées de la réalité matérielle. Le narrateur décrit à peine les lieux. Cf. description de Verrières au tout début du roman qui prend juste une page et qui sert d´introduction à une critique acerbe des habitants de Verrière. On ne sait rien non plus de l´Hôtel de la Mole (Le Rouge et le Noir). On ne sait rien non plus de Milan ou du Château du Marquis Del Dongo (La Chartreuse de Parme).
La peinture des lieux est « fonctionnelle ». Le narrateur ne décrit le monde uniquement dans la mesure ou c´est nécessaire pour l´action. La prison de Fabrice est décrite avec soin car elle constitue un lieu essentiel pour l´action de La Chartreuse de Parme.
Le narrateur décrit à peine les personnages : on ne sait quasiment rien sur les toilettes de Mme de Rênal, de Mathilde ou sur celle de Julien, de Lucien Leuwen ou de Fabrice si ce n´est le couleur de cheveux et quelques détails sur leur aspect mentionnés très brièvement.
Mais la peinture de la réalité matérielle se fait discrète à cause des particularités du roman stendhalien. Le thème de l´argent est souvent lié à des personnages secondaires ou détestables (M. de Rênal, le Marquis Del Dongo) : l´attention du lecteur se tourne plutôt vers les protagonistes principaux qui sont bien loin de tels soucis (cf. Fabrice, Mme de Rênal, Lucien Leuwen). Le roman de Stendhal est rapide (ses personnages ont souvent à peine 20 ans) alors que la description exige une pause dans la narration.
L´autre limite du « réalisme » de Stendhal tient au romanesque. Le romanesque traverse tous les romans de Stendhal. Le héros stendhalien est une figure romanesque. Le personnage de Julien est intelligent, ambitieux, nourri une haine profonde pour ses contemporains, ambitieux jusqu´à la folie. Fabrice est un jeune homme exalté et passionné. Lucien Leuwen est un jeune homme idéaliste et bien fait de sa personne.
En outre la politique dans La Chartreuse de Parme est nettement moins importante que dans Le Rouge et le Noir et Lucien Leuwen. C´est surtout l´histoire qui joue un rôle (Waterloo, arrivée des troupes françaises à Milan en 1796). Et encore elle est inséparable de l´action romanesque. La Chartreuse de Parme a un caractère romanesque nettement plus prononcé que les deux autres grands romans (cf. les personnages de la Duchesse Sanseverina ou de Clélia).
Réalisme subjectif chez Stendhal
Mais le réalisme chez Stendhal se fait aussi réalisme subjectif sans que cela soit une contradiction. Par réalisme subjectif on entend un des procédés fondamentaux de la conduite du récit chez Stendhal. G. Blin, dans Stendhal et les problèmes du Roman, est un de ceux qui mis en avant ce procédé.
La grande originalité de Stendhal est l´usage important de la « focalisation interne » (pour reprendre la terminologie de Gérard Genette) pour raconter les évènements. Les évènements sont vus en grande partie par les protagonistes voire par un seul protagoniste. Stendhal refuse donc le point de vue du narrateur omniscient mais pratique la « restriction de champ ». Dans Le Rouge et le Noir et dans Lucien Leuwen les évènements sont vus dans le rayon de Julien Sorel et Lucien. Dans La Chartreuse de Parme le narrateur a reconnu le droit de regard des autres personnages (Clélia, Mosca, Sanseverina) mais Fabrice Del Dongo garde le foyer principal (la scène de la bataille de Waterloo reste paradigmatique). On peut donc parler d´une restriction de champ chez Stendhal (Blin). Stendhal a en effet coupé ses récits de « monologues intérieurs » et a ramené le roman à la biographie du héros. Les trois grands romans commencent par la jeunesse du héros ou commencent même avant (cf. La Chartreuse de Parme) et finissent avec sa mort (cf. Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme).
Première conséquence de la restriction du champ : les descriptions sont brèves chez Stendhal. Elles sont l´œuvre d´un narrateur extérieur qui voit l´aspect des personnages du dehors ou bien d´un narrateur qui observe la nature. Un tel narrateur est incompatible avec la « restriction du champ » et il joue donc un rôle secondaire chez Stendhal.
Le choix de la restriction du champ explique aussi que certains personnages apparaissent ou disparaissent aussi rapidement de l´action (comme le Comte de La Mole dans Le Rouge et le Noir et Rassi dans La Chartreuse de Parme) car tout est vu par les yeux d´un personnage central.
Troisième conséquence du recours à la restriction de champ : ce n´est que peu à peu que se fait la lumière sur les évènements. Les héros de Stendhal sont souvent un peu étonné de ce qu´ils voient et n´en comprennent le sens que peu à peu. Ce n´est que peu à peu que Julien comprend pourquoi Melle de La Mole apparaît un jour en vêtement de deuil alors que personne ne vient de mourir autour d´elle. Julien découvre que progressivement qu´elle porte le deuil d´un ancêtre mort au XVI.ème siècle.