Il faut vivre partout dans la boue et dans le rêve. En aimant à la fois le rêve et la boue.
Il faut se dépêcher d'adorer ce qui passe, un film à la télé, un regard dans la cour, un coeur fragile et nu sous une carapace, une allure de fille éphémère qui court.
Je veux la chair joyeuse! Et qui lit tous les livres! Des poètes aux polards, de la Bible à Vermot.
M'endormir presque à jeun et me réveiller ivre. Avoir le premier geste et pas le dernier mot.
Etouffer d'émotion de désir de musique, écouter le silence où Mozart chante encore. Avoir une mémoire hypocrite amnésique, réfractaire aux regrets indulgente aux remords.
Il faut vivre, il faut peindre avec ou sans palette Et sculpter dans le marbre effrayant du destin, Les ailes mortes du Moulin de la Galette, La robe de mariée où s'endort la putain.
Il faut voir Dieu descendre une ruelle morne, En sifflotant un air de rancune et d'espoir. Et le diable rêver, en aiguisant ses cornes, Que la lumière prend sa source dans le noir.
Football, amour, alcool, gloire, frissons, tendresse. Je prends tout pêle-mêle et je suis bien partout.
Au milieu des dockers dont l'amarre est l'adresse, Dans la fête tzigane et le rire bantou.
On n'a jamais le temps, le temps nous a, il traîne. Comme un fleuve de plaine aux méandres moqueurs Mais on y trouve un lit et des chants de sirènes, Et un songe accroché au pas du remorqueur.
Jamais ce qui éteint, jamais ce qui dégoûte! Toujours, toujours, toujours, ce qui fait avancer. Il faut boire ses jours, un à un, goutte à goutte, Et ne trouver de l'or que pour le dépenser.
Qu'on s'appelle Suzanne, Henri, Serge ou que sais-je Quidam évanescent, anonyme, paumé.
Il faut croire au soleil en adorant la neige Et chercher le plus-que-parfait du verbe aimer.
Il faut vivre d'amour, d'amitié, de défaites. Donner à perte d'âme, éclater de passion. Pour que l'on puisse écrire à la fin de la fête, Quelque chose a changé pendant que nous passions .
Serge Reggiani
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