LE SENS DE LA NOTE
Ce qui frappe le plus, dans la musique de Raymond Genevaux, c’est que chaque son est justifié. Pas de trilles inutiles. Toutes les notes sont produites au bon moment et de la meilleure manière. Non seulement par Genevaux lui-même, mais aussi par ceux qui créent en sa compagnie.
Le sens de la note motivée vient sûrement d’une passion ancienne pour le boogie woogie. Ce genre n’est envoûtant que par son efficacité rythmique et la rudesse de ses riffs. Le boogie se joue à l’économie parce que ses pulsations implacables ne tolèrent aucune affèterie. On est dans la puissance qui emporte sur les rails, pas dans un salon de thé le petit doigt en l’air. De ces implacables martèlements haletants, Raymond Genevaux perpétue une façon de swinguer qui convoque les déhanchements les plus archaïques en même temps que les scansions les plus actuelles. Toujours en empoignades syncopées avec le temps qui fuit. ...
Le sens de la note irremplaçable, celle qui parle, vient aussi du fait que Raymond Genevaux peint des paysages. Entre le pigment broyé et la pointe du pinceau qui appuie plus ou moins sur la toile, il se passe de choses incroyables au niveau des neurones. Un nuage peut être saccagé par une touche inappropriée. Un feuillage, au contraire, peut frémir d’une brise invisible par la manière de poser les glacis colorés. Au piano comme au vibraphone ou devant le chevalet, c’est pareil : pas une note de trop mais aucune n’est oubliée chez Genevaux.
Le sens de cette sobriété vient d’un instinct que certains cultivent mieux que d’autres, l’instinct du récit. Raymond Genevaux raconte. Sur une toile il raconte un paysage dans lequel mille situations peuvent advenir. Au vibraphone ou au piano, il raconte des situations vécues ou à vivre. Chacun les devine, ces moments qui ajustés par la logique des causes à effets forment toutes les histoires humaines. Ce sont eux que Raymond Genevaux raconte en phrases denses, énoncées dans une élocution où le silence ici et là joue son rôle crucial de micro-suspense. Tous ceux qui, bassistes et percussionnistes, participent à la construction instantanée de ces récits n’émettent que des sons pertinents, même dans les déroulements les plus libres de l’improvisation.
Si vous voulez entendre dans le récit de milliers d’existences que le jazz condense, écoutez la musique de Raymond Genevaux. Elle baigne dans les harmonies du blues. Dont les couleurs sont aussi mauves et violacées.
Alain JOANNES