En 1985, le spectacle "Chiens - cirques divers" scelle la rupture artistique entre Jean Guidoni et le parolier de ses débuts, Pierre Philippe. L'écrivain vient de lui signer un album génialement radical, "Putains", qu'il s'agit d'illustrer.
Pour le spectacle, Jean Guidoni ressent le besoin d'intégrer des chansons inédites... Grand bien lui prend : c'est l'écrivain Enzo Cormann qui va jouer le rôle de charnière, auteur de transition entre la période Pierre Philippe et la période à venir où Jean Guidoni révèlera au public son propre don de parolier.
Ce spectacle du Cirque d'Hiver, tranchant comme une lame, insolent, flamboyant, peut se voir, a posteriori, comme l'apogée d'une collaboration tumultueuse et brillante entre l'auteur de "La Passion selon Peter" et son interprète fétiche, autant que comme le premier jalon posé par Guidoni pour sa seconde émancipation artistique.
Aussi, les cinq chansons écrites par Enzo Cormann pour le "théâtral chanteur", si elles restent principalement dans les thématiques choisies par Pierre Philippe, n'en sont pas moins le signe d'un renouveau à venir, celui des Tigres de Porcelaine et autres Grands Cafés...
"ANGE A TOUS DÉDIÉ", "BELLA" et "SANTA RITA BLANCA" abordent donc le thème de la prostitution, chacune à sa façon, tragi-poétique pour la première, humoristique pour la troisième, tandis que la seconde nous offre une impeccable atmosphère de film noir...
Deux autres textes viennent parachever l'oeuvre, et non des moindres : "GRAFFITI", d'abord, long texte brillantissime, exercice de style qui joue avec le système métrique, les doubles sens, les mots valises, à la manière d'un Nougaro trash, véritable poésie urbaine chantée autant que scandée par un Guidoni royal en maître de cérémonie d'une étrange célébration sexuelle, fête triste bien que parfois enjouée, "requiem pour un chemin de croix"... Le cinéma X, les photos d'Helmut Newton, les épitaphes romantiques... Le champ thématique se diversifie, éclectique explosion d'images et de mots. Le tout est d'une richesse sémantique incroyable.
Et enfin, le dernier texte, perfection ultime de cette éphémère collaboration entre un grand écrivain et un interprète de génie, "RENDEZ-MOI L'ENFANT". Musicalement, la chanson est très belle, reprenant l'un des (nombreux) thèmes récurrents de "Graffiti", petite valse émouvante, pleine d'espoir. Le texte - dont la simplicité n'est pas la moindre des vertus - fait preuve d'une belle émotion, à fleur de peau, sur le besoin de retrouver l'enfance, l'innocence, la pureté... A l'entendre chanter ce texte, on jurerait que Guidoni fait une déclaration à Pierre Philippe. Là encore, a posteriori, on peut l'interpréter comme une déclaration d'indépendance artistique mais également comme la promesse d'une révolution, d'un renouvellement... d'une RENAISSANCE. Incroyable point final d'une très brève collaboration (avec Cormann) qui compense son obligatoire concision par une densité remarquable. Mais tout aussi incroyables points de suspension pour une collaboration marquante, qui s'achèvera en beauté quinze ans plus tard avec "Fin de siècle" et la reprise du "Crime passionnel". Enfin, incroyable trait d'union avec l'oeuvre que Guidoni allait construire "en solitaire", révélant un talent de plume jamais démenti depuis...
Laissez-vous tenter par ce cirque fantasmagorique, chapiteau provisoire qui s'établit peu de temps, mais marqua durablement les mémoires.