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Tsurai

About Me


A quoi bon?
A quoi bon piller les plus beaux navires, les plus grands dirigeables, les hommes les plus riches si notre mauvais goût demeure ? Je ne comprends pas ces pirates. Lorsqu'ils ont de l'argent, ils le gaspillent en rhum : on croirait que c'est le long périple du plus grand centre d'alcooliques anonymes aérien. Ils sont d'un cliché ces pirates !
Je les entends. Quelques mètres sous mes pieds, j'entends crier le peu de survivants. Certains pleurent leur rage, leur haine ou leur désespoir, tandis que les autres se font dévorer par les rats. Ils sont surveillés de près afin qu'aucun ne puisse mettre un terme à ce cauchemar. A présent, les Von Krauser sont les propriétaires exclusifs de leur vie. Ils savent que leurs jours sont comptés, que leurs têtes peuvent tomber ou que leurs corps peuvent s'enflammer à tout moment, alors qu'ici, un étage plus haut des hommes et des femmes dégustent les plaisirs de la vie.
Magdalena, ma voisine de gauche conversait avec moi, il me semble : « [...] Je suis si heureuse car ses [...] odeurs, insoutenables [...] l'auraient sauvé, et vous aussi d'ailleurs. Trinquons à [...] » et son décolleté. Voilà ce que j'ai retenu de ma discussion avec elle, mais de qui parlait-elle ? Je renifle mes vêtements, puis prétextant d'avoir fait tomber ma fourchette, tente de sentir mes bottes. Je suis rassuré. De toute façon, les femmes désirables ne sont pas à écouter. Elles sont faites pour être belles. Pourtant, mon esprit ne s'était pas perdu entre ses deux monts : il était encore perturbé par les derniers évènements.
Que serions-nous devenus si les armées de Von Krauser n'avaient pas débarqué ? Des soldats faits de chair et d'acier qui considéraient leurs canons comme des prolongements de leur bras. C'était un combat inégal qui se préparait, mais tellement égal pour moi. Ces pirates étaient telle colonie de fourmis qui s'éparpillait autour d'une botte s'écrasant sur le sol. Des coups de feu, des cris de guerre, mais aussi des cris agonisants rythmaient ce tableau enfoui dans les nuages. Quelqu'un, sur terre, se serait-il douté ne serait-ce qu'une seconde de ce qui se passait là haut, dans le ciel ? Certains sautaient par dessus bord pour rester maître de leur destin, d'autres étaient exécutés par leurs coéquipiers alors qu'ils jetaient l'éponge.
Alors que j'essayais d'esquiver les giclées de sueur et de sang, un jeune homme aux longs cheveux est tombé à mes pieds, le visage ensanglanté. Son œil était grièvement blessé. Je ne l’ai pas aidé, il s’est difficilement relevé, s'accrochant à mon veston, et est resté collé à mes bottes alors que je jetai par dessus bord un pirate qui nous sautait dessus. Je ne l'ai pas aidé, nous étions juste côte à côte et je m'étais senti en danger. Voilà tout. Je ne pouvais me permettre de rester sur place au risque d'attirer les derniers survivants et décidais de chercher mes compagnons. Heureusement que ce jeune homme me servait, malgré lui, de bouclier humain. Cela étant dit, je préférais encore mourir d'une balle perdue des Von Krauser que de me faire tuer par ces pirates du bon goût.
Les Von Krauser nous applaudissent, nous félicitent, nous remercient de nous être occupés de leur fils. De quoi parlent-ils ? C'est eux qui nous ont sauvés. Nous nous sommes juste contentés de survivre. Mais passons, cela est toujours plaisant comme situation. Ici je me sens à mon aise, je ne manque de rien : nos hôtes voient les choses en grand. C'est l'endroit le plus grandiose que mes yeux aient vu. J'aimerais pouvoir peindre ces ombres que les lustres font danser sur le plafond, le bois laqué, le marbre, la soie, l'or, l'argent, le bronze mais aussi les odeurs, les vapeurs tantôt grisâtres, tantôt bleutées ; toutes ces matières et couleurs qui se marient si bien dans ce château. Mes sens sont en éveil et je ne sais plus où donner de la tête.
Extatique, j'allume une cigarette. Des ronds de fumée dansent, s'échappent par la fenêtre et sont emportés par le vent. Un vent frais allemand.

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