AUDRAIN – les soirs d’été - Sortie le 15 juin 2009Audrain n’est pas de ces chanteurs qui s’imposent à leurs auditeurs par la force, en usant d’armes de séduction massive : c’est sur le mode élégant et amical de la confidence et du partage des sensations qu’il entre dans leurs vies. Il n’est pas davantage de ces bateleurs professionnels qui, pour capter l’attention du public, s’agitent bruyamment sur les tréteaux du théâtre médiatique. Depuis 2001, sa silhouette traverse au pas du flâneur le paysage musical français : fugitive mais singulière, elle a marqué tous ceux qui ont eu le bonheur de la croiser. Parce qu'il connaît les vertus de la discrétion et de la justesse, Audrain est gouverné par la volonté de ne jamais en faire trop. Les Soirs d’été, qui prolonge et affine la belle ligne tremblée tracée par les albums Détachée et Chambres lointaines, en témoigne une fois encore. Délaissant les expérimentations électroniques et les boucles impressionnistes de ses débuts, le Rennais s’engage aujourd’hui dans une veine plus acoustique, qui épouse au plus près les contours de sa pensée et de sa sensibilité. Guitares, piano, basse, violoncelle, orgue, mellotron, saxophone et batterie sont ici les instruments d’une parole placée sous le signe de la suggestion, cet art de dire beaucoup avec peu, sans rien souligner, sans rien claironner. "Au départ, je ne me suis pas dit que ce disque serait plus acoustique, explique le chanteur. Mais inconsciemment, je tendais vers ça : pour composer, je me suis davantage mis au piano, et aussi à la guitare classique. Je n’abandonne pas complètement les sons ni les programmations électroniques, notamment sur scène. Mais cette fois-ci, je me suis éloigné de l’écriture à base de samples, comme à l’époque de mon premier album. C’est sûrement la marque d’une plus grande confiance en moi."
Comme un clin d’œil aux ultimes images des 400 coups, qui montraient un Antoine Doinel courant sur une plage et goûtant peut-être enfin à l’insouciance, la pochette en noir et blanc des Soirs d’été donne le ton. Il sera ici beaucoup question de réminiscences, de lumières et d’images remontées des tréfonds de la mémoire, fondues dans une forme musicale fluide qui emprunte au cinéma sa science du mouvement et de la durée, son aptitude à transcrire naturellement la course du temps. Les premières lignes de Pourquoi toi, elles, précisent le propos. "Le ciel éclaire/J’attends debout/Une main sur la rampe/Entre deux verres/Un rêve amer/Enfin je m’élance/Tout au bord d’une lagune/Souvenirs des algues brunes". Tous les vertiges intimes auxquels se frotte l’écriture de Audrain sont résumés là , dans cet intense sentiment de flottement et de fragilité qu’éveille la conscience d’être à la fois acteur et témoin du monde, vivant autant qu’éphémère. Ils constituent le précieux bagage de ce voyageur immobile qui, prenant les mots et les notes comme moyens de transport, cabote le long des rivages solitaires de l’enfance (Les Retours de l’école, L’Enfant et la mer), croise dans les eaux troubles du sentiment amoureux (Si on m’avait dit), s’offre un détour dans les méandres de la grande Histoire (Tu ne sauras jamais, avec la guerre d’Espagne en toile de fond) comme de nos petites histoires (Hôtel Europa, La vie en super huit), suit les lignes de fuite que dessinent les chemins de l’imaginaire (La Route est longue) ou l’empreinte aérienne d’un vol d’oiseaux (Les Oiseaux migrateurs).
Avec l’aide du fidèle Scott Nivoix, présent à ses côtés depuis ses débuts, Audrain a trouvé l’éclairage musical qui met idéalement en lumière ses visions intérieures. Oscillant entre pop brillant de tous ses feux mélodiques et ballades aux harmonies tamisées, ses chansons, bien que concises, sont parées d’une telle gamme de contrastes et de reliefs que leurs perspectives en paraissent allongées, approfondies. Son art gagne aussi une autre dimension grâce à l’aisance vocale nouvelle qui l’habite : Audrain n’a jamais respiré avec autant de calme et de légèreté que sur ces plages aérées, battues par de fines brises instrumentales - pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Rimbaud, duo avec Barbara Carlotti qui a la beauté évanescente d’un moment de grâce saisi à la dérobée. "Je me sens mieux dans le chant, confirme-t-il. Le fait d’utiliser le piano ou la guitare classique a eu pour vertu de donner davantage d’espace, de liberté et de texture à ma voix. Mais je tiens toujours à ne pas trop en rajouter dans l’expression. J’aime les chants dont les petites aspérités, les petits détails, se traduisent d’abord par leur façon de se poser sur la musique : on n’est pas obligé de faire de grands écarts vocaux pour dire les choses."
Il faut cette finesse d’approche pour réussir à capturer l’indicible parfum des souvenirs dans la forme condensée d’une chanson. Les Soirs d’été restitue précisément la matière vaporeuse de ces heures évanouies, de ces moments enfuis qui impriment à jamais la trame secrète d’une vie d’homme. Il se teinte du même coup des couleurs chaudes de la mélancolie – ce sentiment qui, contrairement à une idée trop reçue, n’a pas l’épaisse noirceur de la tristesse. "Cette confusion entre mélancolie et tristesse est un peu barbante à la longue, oui… Se rappeler la douceur de l’enfance, des soirs d’été, c’est merveilleux, empreint d’une douceur positive." Audrain et ses chansons ont raison de le rappeler : pour ceux qui aiment goûter sans modération à toutes les saveurs de l’existence, la nostalgie est une fête pour l’âme, et la mélancolie est son doux alcool. C’est à ce genre de banquet intime et rare que Les Soirs d’été vous convient.113 rue saint maur 75011 paris / T. 01 55 28 85 85 www.totoutard.com
[email protected]