About Me
Ma famille fait du cirque avec un chapiteau depuis la première guerre mondiale. Avant, mon arrière grand-père donnait un spectacle en plein air sur la place du village. Il allait de village en village avec ses trois femmes, ses enfants et un ours. « L’embêtant, disait-il, c’est l’ours. »A 25 ans, j’ai quitté le cirque familial, le cirque de mes parents ressemblait de plus en plus à un hangar pour avions, j’ai jeté l’éponge, je suis parti. Pendant quelques années j’ai fait mon numéro d’équilibre dans la rue. J’étais depuis longtemps attiré par la poèsie, je me suis lié d’amitié avec des poètes : Jean Genet, Jean Grosjean, Dominique Pagnier, Jean-Marie Kerwich, Thierry Metz, Christian Bobin.J’ai travaillé à l’élaboration d’un spectacle de cirque avec Jean Genet. Il y avait assez de matériel pour faire 4 heures de spectacle. Quand il a fallu passer à la réalisation, j’ai pris ma voiture et je suis parti sur les bords de la Loire faire des paniers en osier…Dix ans plus tard, je redécouvre le cirque dans le campement tsigane de Nanterre. J’ai rencontré Délia que j’ai épousé, j’ai acheté un petit chapiteau, un vieux camion, quelques caravanes, et nous avons pris la route. Quelques gitans dans une piste, Délia au chant, entourée d’un violon, d’une contrebasse et d’un accordéon.Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais imaginé avoir autant de succès avec un spectacle aussi dépouillé. Le violonniste Yehudi Menuhin m’a dit : « Jusqu’à mon dernier jour je penserai à vous. »
La vie n’est jamais comme on croit.
ALEXANDRE ROMANES
LE MONDE | 05.12.07
Romanès, cirque tsigane, par Francis Marmande
A l'instant de sa mort, le père d'Alexandre Romanès souffle : "J'ai eu
une belle vie." Ou encore : "Être gitan, c'est n'être dans rien : ni
dans le sport, ni dans la mode, ni dans le spectacle, ni dans la
politique." Alexandre Romanès fait jouer son cirque tsigane à Bègles
(Gironde).Du 30 décembre au 6 janvier 2008, même limonade, mais porte de
Champerret à Paris (réveillon le 31, 130 euros avec spectacle et
dîner). Noël se prête au cirque. Surtout au petit Cirque Romanès, son
saint bazar, son entrain, la famille en piste et l'orchestre, sans
animaux, sauf un vieux chat amateur. Alexandre Romanès est-il sérieux ?
Le sérieux est-il gitan ? Le tragique et l'ironie, oui, mais le sérieux
? "Mon grand-père avait trois femmes et un ours. Celui qui faisait
problème, c'était l'ours."Le cirque guérit, mais de quoi ? Dans les "sixties", une des plus
terribles planches dessinées (dans Hara-Kiri), encre noire comme le
sang et arbres sans feuilles, c'était Le Petit Cirque de Fred. Moitié
Apollinaire, moitié exode, moitié fête perdue, moitié enterrement :
quadrature gitane. Le petit Cirque Romanès ressemble à celui de Fred,
sans la mélancolie. Un rêve de cirque.Contrebasse, accordéon, clarinette, tapis des Mille et Une Nuits,
bougies, accueil en fanfare et ce clown postmoderne au visage lassé qui
assure sans un sourire les transitions géniales. Pas de numéros, chez
Romanès, jamais d'exploit (la vulgarité même), simple syntaxe des
entrées, des expressions et le plaisir de bien faire. Les garçons
arborent des falzars rayés et des chemises à paillettes dont on se
demande qui les fabrique. Où ils les dénichent. Quelque usine secrète ?Les filles jouent leurs rôles : femme boa, femme du feu, trapéziste non
conforme, contorsionniste au sourire inquiétant. Un petit bonhomme
danse comme Fred Astaire eût tant aimé savoir le faire. On ne peut plus
l'arrêter. Mais que font la police et la cellule psychologique ? Au
final, l'orchestre passe la surmultipliée. Romanès s'agite toujours
debout, calme, tendant une liane ici, un tapis là . Délia, sa chérie,
chante des mélopées poignantes ou des airs du diable. Personne ne sait
si l'on a démarré à l'heure, ni quand cela finira. Les numéros se
précipitent devant l'ensemble de la troupe. La femme boa tricote, une
imposante grand-mère tient sur ses genoux un enfant en bas âge.
Beignets et vin chaud pour tous.Alexandre Romanès avait fait une croix sur le cirque. Vingt ans après,
il en monte un. Il rencontre Pipo, un ami d'enfance, qui l'embrasse et
le regarde bizarrement : "Je suis vraiment étonné de te voir faire du
cirque. - Pourquoi ? - J'avais toujours cru que tu étais intelligent."
L'ours, les voleuses et des souvenirs de Jean Genet, vous trouverez de
tout dans son livre de haïkus gitans, Un peuple de promeneurs (éditions
Le Temps qu'il fait, 2000). Ou encore, chez Gallimard, dans ses Paroles
perdues (poèmes, préface de Jean Grosjean, 2004) : "Je voulais garder
Dieu pour moi, et j'en parle à toutes les pages." Romanès n'a pas lu
des masses de livres, mais il sait en écrire.Ce ne sont qu'histoires de Juliani si pauvres qu'ils se mettaient des
beignes, le soir, pour garder le chien et sa chaleur au lit ; ou
l'histoire de ce CRS de faction au camp de Nanterre, si amoureux d'une
Gitane qu'"il passait ses journées assis en hauteur sur un tas
d'ordures, dans l'espoir de l'apercevoir". Lydie se fâche avec Pipo,
parce que Pipo lui a menti. Pipo : "Qu'est-ce que tu veux, je suis un
gars comme Dieu : je laisse des doutes !" Mais aussi bien : "Je demande
à une vieille Gitane pourquoi elle ne parle jamais des camps de
concentration, où pourtant elle a été. Elle me répond : "Parce que j'ai
honte.""Trois cents personnes à Paris, dimanche, pour protester contre
l'expulsion de trois cents Gitans bulgares et roumains (donc
européens). Le cirque continue.Francis Marmande
Article paru dans l'édition du 06.12.07.