Jean-Michel Blais

De profundis Domine______________________________________________________ ___ ____________________________________________________________ _______________ Ma représentation de la vie s'était faite, l'instant d'un moment, de noir et de blanc. À la sortie de ce chaos psychotique, mes yeux avaient dû s'habituer à l'étourdissant bouquet de couleurs criardes qui teignait de ses nuances jusqu'à l'air ambiant, m'empoisonnant, me donnant la nausée à chaque petite bouffée oxygénée qui s'insinuait, bien malgré moi, jusqu'à mes poumons. Et cependant, quelque chose avait inexorablement changé. ____________________________________________________________ _______________ ____________________________________________________________ _______________ Je réalise que ces couleurs me paraissent maintenant aussi vides, aussi fades que peut l'être la conque privée de son précieux buccin. Mon humeur barbouille grisonne les rouge, jaune, violet, bleu et vert, -même le blanc n'y échappe pas!- et je n'ai plus la force de lever corps et âme - une âme?!? - pour empêcher la ronde des corbeaux de m'envahir et m'enfoncer jusqu'aux tréfonds de profondeurs hadales. Je n'ai plus peur, j'en touche le fond. Je ne le reverrai plus. Je l'aime. Je ne dois plus le revoir. Je l'aime. Je ne veux plus le revoir. Et pourtant, à la seule évocation de cette éventualité, mon coeur se soulève et se répand, écorchure béante offerte à la vue de tous. Me voilà bien seul. ____________________________________________________________ _______________ ____________________________________________________________ _______________ Il fut dit que "l'enfer c'est les autres". Cette affirmation demande précision, que dis-je, affinage. Les gens qui nous entourent façonnent notre personnalité et nous conditionnons, volontairement ou non, notre façon d'agir, de réagir et même de penser à la leur. Les années passant, la recherche du "Je" véritable devient entreprise ardue, voire impossible. Nos âmes empoussiérées se complaisent dans cette unité mensongère de nos existences. Surtout, ne pas se remettre en question! ____________________________________________________________ _______________ ____________________________________________________________ _______________ Le mensonge m'est devenu chose insupportable. J'ai traversé le miroir. En voulant admirer mon reflet dans la glace à nouveau, je n'ai vu que leur visage désapprobateur, leur regard froid et dédaigneux me déshabillant, me retournant trivialement les entrailles. En observant avec plus d'attention cette populace hostile, quelle ne fut pas ma stupeur de retrouver la lueur inquisitrice de mes propres yeux! Notre mépris, ma solitude, "pas même un compagnon"* : illustration dantesque de mon enfer. ____________________________________________________________ _______________ ____________________________________________________________ _______________ La culpabilité qui dévore maintenant mes aubes ne me fait plus qu'espérer le sommeil. "Mourir, dormir, rien de plus"**. Et c'est à vous donc, vous qui me fîtes réaliser qu'il n'y avait pas plus grand obscurantisme que l'hermétisme de nos jugements, que "je détache ces quelques hideux feuillets de mon cahier de damné"***. ____________________________________________________________ _______________ ____________________________________________________________ _______________ * Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, 1873______________________________________ ** William Shakespeare, Hamlet, 1603___________________________________________ *** Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, 1873____________________________________ ____________________________________________________________ _______________ ____________________________________________________________ _______________ (Émilie Fournier, Une saison en enfer, 2007)______________________________________