Je suis face a l’instrument, je respire et me persuade que lui aussi respire. Il semblerait qu'il m’attend. Il attend. Et il sait, lui sait. Il sait la musique, bien sur car il est déjà la musique. Et il m’appartient, a moi de l’écouter, d'entendre son chant. Seulement l'instrument a besoin d'amour et d’attention. Alors je lui en donne, je le caresse, je l’écoute, je discute avec lui, j'anticipe parfois ses réactions et s'il est d'humeur, je peux même me permettre de le provoquer affectueusement.
L'instrument est humble, beaucoup plus que moi. En effet, il ne cherchera jamais a expliquer sa parole. Il préfère donner l'illusion que c'est toi qui possède un savoir, il te laisse être sa voix. Mais pourtant c'est bien lui qui te guide. Car il connait le chemin. C'est inscrit en lui, de tout temps et de toute éternité. Sa science est immense me semble t il. Il détient des secrets que bien des poètes vainement tentèrent de s’approprier.
Il sait les lois. Il sait l’équilibre, il sait la résonance, il sait le temps et l espace et l'espace du temps et le mouvement stable et fébrile. Il le sait et il s'en moque, car lui n'a jamais oublié.Moi j'ai tout oublié. J'oublie tout le temps. Je n'ai pas de mémoire. Ou plutôt ma mémoire me trahie. Elle est pourtant étonnante elle aussi. Elle sait réciter un tas vertigineux de mots et sons et hypothèse. Mais elle est à l’envers. Ma mémoire oublie toujours tout. Car elle veut obstinément être stable. Elle espère, j'imagine par fainéantise, pouvoir se reposer le jour ou ayant trouvé, j'arrêterai d’apprendre. Mais, contraint par cette stabilité, cette négation du temps, je ne peux, jamais, être le mouvement, la danse puissante et panique, superbe vivante .Je ne suis pas triste de cette aberration. Je peux écouter mon instrument qui lui inlassablement chante le temps et le vent.
Ma main connait mieux le chant de l'instrument que ma mémoire. Ma main, si je la laisse tranquille sait saisir chaque nuance de l'équilibre précaire et vivant, tendu et pointu suggéré par les promesses de l’instrument.
Voila pourquoi il me faut respirer, longtemps et lentement devant mon instrument. Pour laisser ma main libre. Il me faut m’oublier. Oublier ma mémoire prétentieuse et stérile. Il me faut oublier l’oubli.
Je respire et dans le souffle vibre le son de l’instrument. Le son vibre et tremble, il bouge, il est tendu il sait et il attend, il attend dans le temps, le temps juste qui est mouvement. Mouvement du son clair et parfait et des doigts. Les doigts s'enfoncent et s'ancrent dans l'ivoire et l’ébène. Et ce qui était là est là . Alors je respire et me perds. Je ne suis pourtant pas perdu. Je ne suis pas perdu puisque je suis guidé. Le son, l'équilibre, le mouvement, bascule, tombe et s'accroche dans le vide, le silence
je suis perdu car j'ai perdu la mémoire et le sens du temps et je me suis oublié ;. Je me suis oublié dans le temps qui vibre. Et je résonne. J.R
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