Une rencontre, un pogo, une nuit punk au Gibus. entre Gonzo et DaDa.
Les belles histoires commencent souvent par il était une fois, mais là nous démarrerons par il était trois fois car l’histoire de Rock’n’Vérole, c’est à la base celle de trois mecs complètement déjantés réunis sous la même bannière, celle du punk originel.
Il était donc une fois un artiste, dont « design » sera son maître-mot pour illustrer sa créativité tout au long de sa carrière. Comme tout artiste, Patrick Daumont alias Dada cherche sa voie, et comme bien souvent en empruntant des chemins détournés. Après ses premiers pas via les Beaux-Arts, il trouve son inspiration dans la musique, mais pas n’importe laquelle, celle de la rue qu’il connaît sans doute mieux que quiconque, pas celle où s’étalent les boutiques clinquantes réservées à l’élite fortunée, non, celle qui sent le bitume de la banlieue, les cages d’escaliers des tours de sa cité et le métal des huiles de moteurs de bagnoles de collection. On ne lui apprendra donc pas les racines du style musical où il finit par mettre les pieds, il les vit au quotidien à travers le rock’n’roll, le country et le pop-rock des 70’s finissantes, sans pour autant délaisser le crayon et les pinceaux qu’il maîtrise. Après un petit séjour dans les sanctuaires punks londoniens, les soirées du Golf Drouot et un coup d’essai peu convaincant avec un groupe local (Les têtes brulées), son chemin croise …
Il était une seconde fois un mec un peu paumé durant son séjour au service de Mère Patrie qui sait ce qu’il veut mais ne sait comment l’obtenir, tout l’inverse de ce que chantent les Sex Pistols « don’t know what I want but I know where to get it » (Anarchy in the UK). Serge Sitruk alias Gonzo alias (bis) Serge Montana cherche son inspiration là où il vit depuis ses premiers pas, dans le futur fief du mouvement punk, le ventre de Paris alias les Halles. Les clodos, les putes, les truands, les fachos, la révolte 68arde, bref la rue à l’état brut, il connaît ça par cœur en tant que témoin direct. Il fréquente les milieux punks parisiens et assiste en spectateur aux premiers concerts du genre sur les petites scènes. Sa guitare le démange, il faut qu’il joue à tout prix. Après un détour en tant que guitariste rythmique dans un groupe de rock’n’roll (Les Costars) qui connaîtra la notoriété sans lui, Serge veut donner plus d’énergie à sa guitare et il compose donc à tour de bras mais reste à sec de paroles et de musiciens pour accompagner sa sauce. C’est ainsi que vient à sa rescousse …
Il était une troisième fois un esthète fou, amateur d’objets rares, de bonne chair et de bière devant l’éternel, lui qui prétend, mais on ne le contredira sûrement pas, avoir avalé l’équivalent d’au moins deux tankers de cette boisson dans toute sa vie jusqu’au moment où sont rédigées ces lignes. Philippe Bonnaz alias Kurt Karburateur, aujourd’hui commissaire priseur sur la région PACA, ne joue d’aucun instrument mais manie les mots à la manière de Gainsbourg et de Kerouac. Calfeutré dans son antre bourgeois mais anarchiste jusqu’au bout des ongles, il fichera un coup de pied dans la fourmilière pour chercher l’inspiration. Il conçoit la scène comme un joyeux bordel, ce qui aurait pu ressembler au final à des prestations à la Gazoline, mais l’esthétique de la construction de ses phrases, contenant toutefois des mots suffisamment appropriés pour ne pas être autre chose que du punk, ne pouvait coller à cet esprit. Il construira ces-dites phrases tout en écoutant Serge, son vieux complice, gratter ses accords et bredouiller ses mélodies.
Et donc il fut une fois, ou plutôt un soir de fin d’été 1977, une rencontre qui allait bouleverser la vie des trois larrons, et en particulier celle de Patrick et Serge dans le saint des saints du punk, l’inévitable Gibus. La piste est quasiment déserte mais chacun se lance sans hésiter dans un pogo encore timide où on se bouscule, on se sourit, on se marre et on se présente, et c’est ainsi parti pour une amitié qui ne se démentira pas, plus de trente années plus tard. Au cours du temps qui défile à grande allure où chaque seconde de leur jeunesse compte, ils sont prêts à jouer ensemble d’autant que le répertoire existe et ne demande qu’à prendre corps. Philippe sera à l’origine du nom du groupe lors d’une soirée arrosée où il lance cette boutade : « on va faire du Vérock’n’Vérole et on sera le premier groupe de rock putrescent ». Ils optent donc pour Rock’n’Vérole mais il manque certains musiciens pour parachever le projet. C’est lors d’une soirée dans une boîte parisienne qu’Olivier Bachelard rejoint le groupe alors qu’il portait un t-shirt original estampillé d’un côté « New York Dolls » et de l’autre « Bassiste cherche groupe ». Charles Hurbier alias Charly H parachève la formation en tant que batteur.
Toute une infrastructure se met en place autour du groupe, les répétitions sont au point avec l’énergie et le son souhaité mais les concerts tardent à arriver malgré le tapage médiatique dans tous les milieux et la presse punks. Ca n’est pourtant pas faute que Patrick, en tant que leader, se démène pour trouver des contacts et des lieux pour jouer. Un véritable cercle de potes se forme autour du groupe pour l’encourager et le soutenir. Parmi eux, les frères Sabotier qui fonderont le groupe Warum Joe. En effet, Rock’n’Vérole, de par ses compositions et son esprit originaux, influencera le futur de certaines personnes qui ont gravité autour de lui. Malheureusement, un concert unique lors d’un mini-festival punk finit par stopper en plein vol, tel un missile sol-air, l’ascension du groupe.
En effet, tout va de travers pour le groupe, la malchance détruit touts ses espoirs lors de ce concert : le son est épouvantable, la salle est le gymnase d’un lycée, la scène est montée avec les tables de la cantine, la qualité de la sono est d’une rare pauvreté. De plus, le groupe d’ados pré pubères, les Fêlés, managé par le magasin de T-shirts « Harry Cover » en première partie du festival, détruira sans vergogne la batterie de Charly H qui se débrouillera comme il pourra pour donner la rythmique au groupe. C’est dans cet infernal brouhaha sans le moindre retour que Rock’n’Vérole tente de sauver les meubles alors que le public attend un rock aussi endiablé et musclé que lors des répétitions. Olivier, fidèle à son habitude, reste impassible face au massacre en cours, Charly H part dans un fou-rire à la limite de l’hystérie sans doute pour conjurer le mauvais sort qui s’abat sur le groupe, Serge tente de cacher sa colère en donnant le maximum de sa guitare mais Patrick est écœuré et préfère stopper la casse après quelques titres.
L’histoire du groupe pourrait s’arrêter ici mais autant terminer sur le pourquoi cela n’a-t-il pas marché pour Rock’n’Vérole. Déjà , le groupe est arrivé un peu en retard sur le « marché » du punk originel et si Serge savait exactement ce qu’il voulait, des éléments discordants au sein du groupe ont préparé sa tombe. En effet, Charly H, l’enfant gâté du groupe, souhaitait rapidement délaisser sa batterie au profit de synthés, sans doute pour cloner l’esprit de Metal Urbain qu’il ira rejoindre dans une future formation. Le synthé ne fait pas bon ménage avec les compos de Serge basées sur les cordes comme tout rock brut de fonderie qui se respecte et Charly souhaite « broder » sur des partitions minimalistes montées sur deux accords basiques, ce qui pourrait cadrer avec les new-wave et cold-wave british naissantes. De plus, Charly critique la voix de Patrick où il souhaite son remplacement par celle de Serge et tend à vouloir diriger le groupe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour Serge qui refuse catégoriquement de prendre la place de son ami au chant. Pour Serge, nul ne peut remplacer Patrick, il est à lui seul la GUEULE et l’âme du groupe même s’il n’est pas originellement l’auteur des chansons. Rock’n’Vérole, sans Patrick et avec des synthés, étant inconcevable pour Serge, le groupe splitte.
L’après Rock’n’Vérole verra des futurs musicaux différents se dessiner pour chacun de ses membres. Olivier rejoint Warum Joe, Charly H côtoie ce qu’il reste de feu Metal Urbain, Serge continue de composer dans divers styles issus du country et du rock, et Patrick se lance dans la production de groupes dont les fameux Bérurier Noir qui lui doivent la notoriété grâce à leur premier single. De plus, Patrick, désormais Dada, est un des pionniers de l’électro-rock français et sa progéniture (Blondie & Blondie) héritière de son actif musical peut être fière d’être issue de cette si particulière et riche source d’inspiration.
Si nous avions dû commencer ce récit par « il était une fois », alors sans hésiter on pourrait conter celle d’une amitié, celle de deux hommes, que rien n’aura pu briser. L’aventure continue.