Marie Françoise PROST-MANILLIER quel est votre parcours artistique ?
Après un bac philo, j’ai suivi les cours des beaux-arts
de Macon et j’ai bifurqué pour passer
le concours d’entrée à la Matinière
pour préparer l’ENSET
école nationale supérieure d’enseignement technique)
dans la section arts plastiques
J’ai commencé par une carrière d’enseignante
pendant un peu plus de dix ans
et puis j’ai démissionné de l’éducation nationale
pour me consacrer uniquement à mon propre travail
car je n’arrivais pas à faire les deux en même temps.
Votre travail qui a commencé classiquement par la peinture.
Oui j’étais une élève du peintre Georges Manillier ;
j’ai beaucoup travaillé auprès de lui
dans ce que j’appelle « mon enfance de l’art »..
Et puis avec le temps
je me suis dirigée vers un travail de synthèse
en gardant une technique de peintre,
en gardant le corps du tableau avec l’épaisseur
et l’opacité, sa couleur, sa matérialité.
Et puis un jour l’image s’est émancipée du tableau ;
elle s’en est dissociée un peu comme dans le film de Woody Allen « la rose pourpre du Caire » ;
le personnage sort de l’écran.
Et bien pour moi c’est l’image qui sort du tableau.
Qu’est ce que l’image représente dans votre travail ?
C’est le phénomène de la fragilité
de la mémoire associée au corps de tableau,
qui est la présence au monde.
J’essaye de réunir le corps et la conscience.
Je fais un travail de confrontation
entre le corps du tableau et l’image
mais aussi l’image des mots.
Ce qui me fascine beaucoup c’est que nous avons tous
à l’intérieur des filmographies personnelles
qui nous hantent sans cesse.
Nous sommes tous habités et même submergés par l’image
Comment réagissez-vous devant la problématique de l’expo « image fixe, image mobile » ?
Lorsque j’ai effectué le travail sur l’exposition « Malgré le monde »
au centre d’art « l’Attrape couleurs » en 2005,
je m’étais déjà aventurée dans une synthèse supplémentaire
qui est celle de confronter une vidéo
avec un développement de travail plastique ;
donc peinture, écriture et image mobile.
Alors pour l’exposition du Polaris
ma réponse sera plutôt un contre-pied.
Ce qui est mobile n’est pas l’image mais une hésitation de couleurs.
On me demande de l’image
mais je vais montrer de la couleur, des pigments.
Quel est donc la conception de l’œuvre ?
Tout ce travail qui va s’appeler
« hésitation » est un hommage à ma mère
qui a disparue cette année au mois d’août.
Ce sont trois tableaux qui ont perdu leur corps,
il ne reste plus que le squelette
où l’image - fragile -
flotte dans le centre de la sculpture
comme un bas relief sur le mur.
Ce sont des toiles décharnées.
La première image est une photo de moi,
petite fille qui regonfle ma bicyclette ;
la seconde image c’est ma mère
qui m’écrit une lettre au moment du décès de mon père,
il y a de cela très longtemps
et puis la troisième image est la scintigraphie du corps de ma mère.
Dessous j’ai posé les bacs de pigments
et ce sont ces trois bacs que j’ai filmés en les faisant osciller.
L’image sera mobile par la couleur.
Une œuvre à laquelle, donc vous mêler un travail vidéo.
C’est ça. Viennent se projeter sur les murs
trois films qui montrent trois vibrations de pigments
de couleurs qui vont passer les unes devant
– ou derrière – les autres.
Chaque vibration de couleur,
de temps en temps va s’arrêter
sur une image fixe, une photographie,
quelques secondes immobile ;
comme si la polychromie hésitait avant de découvrir l’image.
Chaque film est dans le même principe d’hésitation
mais les couleurs passent dans un ordre différent.
Le premier des trois films va s’arrêter sur l’image de ma mère dans son jardin.
Pour le second l’image fixe sera celle d’une manifestation,
un groupe de personnes en révolte qui s’opposent
à l’image de ma mère plus paisible.
Le troisième film va découvrir l’image d’un incendie.
Entre ces trois images il y a un dialogue de sens ;
elles apparaîtront comme une scansion
ou plutôt une « scandeur » déphasée
puisque les trois films seront projetés en même temps.
Quel est votre processus de travail pour arriver jusqu’à l’œuvre ?
En fait quant je travaille un tableau
je le travaille épais avec une matière,
dans sa pigmentation, sa virulence.
Ici il ne reste que le châssis, vieux, rouillé ;
il ne reste plus qu’un trou : l’absence.
Comment définissez-vous votre travail
par rapport à ce qui est produit
aujourd’hui dans l’art contemporain,
la mode des installations en particulier ?
Le cul entre deux chaises (rires).
Je me situe comme une artiste qui refuse d’être emprisonnée dans un genre.
Je n’aime pas par exemple le terme de plasticien ;
je me définis comme une artiste
qui affirme sa singularité.
Peu importe le médium, l’important est dans le résultat :
de ce que l’on montre. ,
le sens qui s’en dégage,
la richesse de l’expression.
J’aime passer d’un médium à un autre
Je ne veux pas jeter l’anathème sur aucune forme d’expression.
Je trouve très bien qu’actuellement
on puisse ne plus être cantonné
dans la pureté de la peinture ou de la sculpture.
Quant à la photographie pour moi
c’est des notes de travail.
Je ne suis évidemment pas techniquement une photographe,
je l’utilise comme autrefois on faisait des croquis.
Ce que j’ai envie de dire par rapport à votre question
c’est que si notre société fabrique des pensées uniques
les artistes eux produisent des œuvres tellement différentes …
Entretien avec Marie-Françoise Prost-Manillier
réalisé par Thierry Aveline en décembre 2006