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Laurent Thomas

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Les Robots Vs Laurent Thomas

La science n’a pas inventé le robot. Les voilà qui surgissent en 1921 du cerveau de Karel Capek, auteur tchèque de contes ironiques et cruels, dans un drame utopique au nom de code R.U.R. (Les Robots Universels de Rossum) mettant en scène des Robots, un mot créé par Capek lui-même d’après le radical slave du verbe « travailler », des humanoïdes chargés d’un supplément d’âme qui, dans la pièce, se révoltent contre leur servitude. Soit, ce mythe cousine avec celui du héros de Mary Godwin Shelley : Frankenstein, le Prométhée moderne qui, un siècle plus tôt, entendait déjà se venger de la race humaine. Pour autant, il faut apprécier l’inspiration corrosive de Capek, la replacer dans le contexte de la Révolution bolchevique et de l‘affirmation réalisme-socialiste de l’invention d’un Homme Nouveau. Depuis, cette illusion n’est pas totalement retombée, elle s’est même sournoisement multiplié, cloné, telle la brebis « galeuse » Dolly, alors que le genre humain a paru au contraire s’enfoncer dans une régression pas forcément allègre, et ce ne sont pas les « voyageurs sans boussole » de Dubuffet, les griffonnages de Twombly, les compulsions de Basquiat, qui semblent venir contredire ce processus. Après Capek, notre espèce a-t-elle encore un avenir ailleurs qu’à travers la digne lignée des Robots ? Effectivement, à terme, nous paraissons devenir accessoires, dérisoires, « humains trop humains », dirait Nietzsche. De l’atome à la Lune, de Voyager 2 à Hubble, des chaînes de production à la nanotechnologie, déjà le genre humain n’a plus droit qu’à une place au poulailler du théâtre de sa propre histoire, une distanciation accentuée par une peoplisation grandissante du genre humanoïde : Pac-Man le glouton, Goldorak, Robocop, Gort, Slurp, MSNBot, Caspar, Aibo chien fidèle, R2D2 le lou ravi de la crèche, Asimo le plantigrade de chez Honda, bientôt en final de Roland Garros, et autres… Constatons que l’empathie de Laurent Thomas pour les Robots, sa célébration poétique – dernière chasse gardée qu’il nous reste, à nous, chair sanguinolente –, s’inscrit dans ce mouvement inéluctable, une ode que les Robots pas bégueules pour un sou lui rendront à l’heure du Jugement Dernier Robotique, soyons-en sûrs. Sans constituer à proprement parler une rupture, cette série déborde néanmoins du cadre de la nomenclature habituelle de la Figuration Libre, mouvement auquel Laurent Thomas est lié depuis deux décennies, et dont il s’ingénie à noircir les pages laissées blanches. Il opère là une sorte d’extension qui rejoint les nouvelles interrogations posées par d’autres artistes d’aujourd’hui. Par esprit de filiation transatlantique, le sens de l’hommage à l’égard des servitudes, des négritudes, des incandescences, il invite tour à tour sur ses toiles : Blamer le tagger anonyme, des poupées indiennes hopi, des masques esquimaux et africains, l’écorché des salles de sciences, Armstrong rendant les honneurs à la bannière étoilée sur un sol lunaire pacifié puisque terriblement vide, la cagoule vaudou, la femme à la tronçonneuse, Tintin et le capitaine Haddock, la tête de bonhomme du défunt Pascal Doury, l’ami, et sans doute l’un des plus doués de sa génération… Et aussi Basquiat, sur l’un des grands formats dans lequel son visage apparaît, arrosé par un nuage de kérosène blanc comme neige largué d’un quadriréacteur noir, incarnation des puissances anxiogènes que sont la pollution, la guerre, l’ethnocide, la drogue. On ne peut s’empêcher de songer à l’overdose qui terrassa Basquiat, et à la cocaïne qui, pour se cristalliser, passe par un bain chimique d’acide sulfurique et de kérosène. Un format en diptyque où les bananes de Warhol répondent aux épis furieux qui coiffaient le crâne du Haïtien. Ce sont d’ailleurs de multiples anxiogènes et Axes du Mal qui irriguent cette nouvelle étape dans le travail de Laurent Thomas, que sont les Robots, après les précédents paysages fracturés où, à travers des juxtapositions de formes, de couleurs, sous les racines chenues de pins parasols, s’imposait au contraire un climat d’apaisement, ouvrant des perspectives plus oniriques qu’oppressantes. Ces petits Robots, au départ joujoux infantiles, objets inoffensifs, se révèlent en fait porteurs de virus diversement mortels, révélateurs incarnés de nouvelles inquiétudes du monde technologique, donc : la manipulation du vivant, le clonage, les corps mutants… Des artistes – performeurs, photographes, plasticiens – se sont depuis une dizaine d’années emparés de cette thématique post-humaine, de cet espace prométhéen, ce « corps élargi » selon l’expression du critique Franck Perrin, où l’imagerie robotique, la fétichisation de la technologie engendrent le plus souvent une sorte de néo-futurisme qui puise autant dans le mythe grec du voleur de feu que dans ceux avant-gardistes du réalisme socialiste de l’Homme Nouveau. Karel Capek reste bien un visionnaire. À l’aune de ce vocabulaire « élargi » taille mondiale, XXL donc, qui fait dire à Orlan – maîtresse femme, sinon monstresse, de l’art du corps mutant – : « Souviens-toi du futur », auquel répond, même mort et enterré, le SAMO – same old shit – de Basquiat, il n’en demeure pas moins que cette série de Laurent Thomas étire le monde à travers une profusion de signes, un excès de formes, de dessins, de couleurs, une transgression des catégories qui président au beau et au laid, au normal et au monstrueux, au passé et au futur. « Nous sommes à la préhistoire des Robots », convient-il. Et là, dans un coin du tableau figurant la grotte originelle de la préhistoire robotique, rode le premier graffiti représentant un homme, trouvé au fond du puits de Lascaux. Faut-il savoir que ces peintres rupestres travaillaient dans l’obscurité, selon toute vraisemblance scientifique sous l’influence de psychotropes, cherchant non pas la représentation du réel, mais celle des visions dantesques, des flashes hallucinés qui les traversaient au cours de ces rendez-vous avec les forces du mystère dans ce théâtre d’ombres de la grotte. Il est bien difficile de ne pas ressentir la puissance qui sourd dans cette nouvelle série, l’acharnement sur plusieurs années qui aujourd’hui voit son aboutissement. Jouant dans cet écart entre surgissement et conscience, Laurent Thomas met en place une proximité inattendue d’éléments, un désordre où propos, figures, signes, se télescopent sur le mode de la dissonance, du hiatus, pour révéler par flashes un monde nouveau qui n’est autre que le nôtre.

Pierre-François Moreau, écrivain, chroniqueur d’art, Paris, juin 2006.Copyright (C) Images et Textes 2005

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