Isabelle

"La criminelle" Je me plains de la police, de l'armée, de la justice, des casernes, des prisons, des administrations, des lois, des ministres, du gouvernement, des financiers, des spéculateurs, des fonctionnaires, des patrons, des prêtres, des proprios, des salaires, du chômage, du parlement, des impôts, des rentiers, des loyers, des longues journées d'atelier et d'usine, de la maigre pitance, des privations sans nombre et de la masse infinie des iniquités sociales. Je me plains; mais je veux le maintien du système où je végètes. Je me révoltes parfois, mais pour recommencer toujours. C'est moi, c'est toi, qui produis tout, qui laboures et sèmes, qui forges et tisses, qui pétris et transformes, qui construis et fabriques, qui alimentes et fécondes! Pourquoi donc ne consommes-tu pas à ta faim? Pourquoi es-tu le mal vêtu, le mal nourri, le mal abrité? Oui, pourquoi le sans pain, le sans souliers, le sans demeure? Pourquoi ne suis-je pas mon maître? Pourquoi te courbes-tu, obéis-tu, sers-tu? Pourquoi suis-je l'inférieur, l'humilié, l'offensé, le serviteur, l'esclave? J'élabores tout et je ne possèdes rien? Tout est par moi et je ne suis rien. Je me trompes. Je suis l'électrice, le votard, celle qui accepte ce qui est; celle qui, en votant, consacre toutes ses servitudes. Je suis le volontaire valet, la domestique aimable, le laquais, le larbin, le chien léchant le fouet, rampant devant la poigne du maître. Je suis le sergot, le geôlier et le mouchard. Je suis le bon soldat, le portier modèle, le locataire bénévole. Je suis l'employée fidèle, le serviteur dévoué,le paysan sobre, l'ouvrier résigné de son propre esclavage. Je suis moi-même mon bourreau. De quoi je me plains? De quoi te plains-tu?