L'anecdote est connue : en octobre 2005, Yacine Gouaref et Lucie van der Elst, deux amis d'enfance — ils ont fréquenté la même école depuis leur maternelle —, qui s'étaient un peu perdus de vue, se retrouvent sur le quai de la gare de Lyon. Yacine a des disques avec lui, dont le Best of Muddy Waters, ce qui incite Lucie à venir lui parler. Yacine invitera Lucie à le rejoindre dans son groupe tout juste naissant, Les Poussins de l'apocalypse. Lucie viendra avec son ami Geoffroy Wagon. Thomas Fouque, grand amateur de blues, joue déjà avec le pianiste Léopold Lescop de Moÿ. Tous deux fréquentent assidûment Les Caves du Chapelet, un club de jazz de la banlieue ouest de Paris, dans lequel Yacine, en plus de son petit groupe, y chante aussi dans les Blues Incorporated d'Elsa Simon, qui ont pour batteur un certain Nathanaël Abeille. Thomas sera l'artisan de leur rencontre ; le blues et le r'n'b en seront les fondations.
Après un hiver difficile pour Yacine, Lucie et Thomas, passé en colocation avec un certain Jules Philippe [ 1 ] au désormais célèbre 102 Edith Grove à Paris, avec comme ultimes ressources les maigres cachets de quelques petits concerts, les Chicots sont enfin prêts à devenir pro.
Le premier concert des Chicots se passe au Marquee à Paris, le 12 juillet 2007. Le groupe est alors composé de Thomas, Yacine, Lucie, Léopold Lescop de Moÿ au piano, Geoffroy Wagon à la basse et Virginie Sanseigne à la batterie. Wagon partira ensuite former les Nymphonics. Le poste de batteur est toujours aléatoire, oscillant entre Maïda Chandèze-Avakian et Virginie Sanseigne. Les Chicots cherchent un bassiste. En décembre 2007, Maïda Chandèze-Avakian leur présente Fanny Laplane, au Red Lion Club [ 2 ] qui leur plaît immédiatement, peut être grâce à ses amplis, denrée rare à l'époque, mais aussi grâce à ses capacités : elle est plus âgé de 7 ans que Yacine et Lucie, et joue déjà depuis de nombreuses années dans son groupe les Cliftons, avec Maïda, tout en étant amateur. Les batteurs des Chicots étant trop instables, Nathanaël Abeille, qui connaissait bien Yacine pour avoir joué avec lui, se joindra à eux définitivement en Janvier 2008, laissant sa place au sein des Blues Incorporated à Anna Kobylarz. En mars de la même année, ils enregistrent à l'IBC Studio de Portland Place, à Paris, une démo, avec comme ingénieur du son le futur mythique Mathieu Gouin, composée de reprises de r'n'b [ 3 ] . Les Chicots joueront régulièrement aux Caves du Chapelet, puis au Crawdaddy, club que vient d'ouvrir Bruno Puyvillier. De quelques dizaines de spectateurs, l'audience passe rapidement à plusieurs centaines, dépassant les capacités de la salle.
Aurélien Gomez, jeune publicitaire de 19 ans, qui a déjà travaillé avec Antoine Lassus, Gullaume Rafananenena et Anaëlle Moreau, associé au manager Marguerite Fouletier, ne rêve que de rencontrer et manager « son » Big Band Mou, qui vient de sortir Love mou do. Dans son parcours des clubs de Paris, il entre un jour au Crawdaddy [ 4 ] , et voit les Chicots. C'est la révélation, il sera leur manager.
Avec leur nouveau manager, leur carrière décolle. En 2008, la maison de disque Hautbois d'Ormont-Dessous et son Directeur artistique (A&R) Ulysse Fiévé, célèbre pour avoir refusé les Mous [ 5 ] , leur fait enregistrer leur premier single [ 6 ] , avec, sur la face A, une reprise de Tiffany Martin, Come on [ 7 ] , et, sur la face B, I want to be loved de Isabelle Boudet. Ce premier disque leur permet d'entrer discrètement dans les charts britanniques, et de se faire remarquer par la presse. Un deuxième single sort avec, en face A, un titre composé par Jonathan Zerbib et Jean-Baptiste Hardoin, I Wanna Be Your Man [ 8 ] , et en face B un instrumental : Chiqued [ 9 ] .
Ils font leur première apparition TV dans l'émission Thank you lucky star de Clara Dessuant. Leur look, pourtant si conventionnel de nos jours, paraît outrancier. Leurs cheveux longs [ 10 ] font scandale ; ce look original et leur attitude parfois méprisante donneront des idées à Jérémy Boulard Le Fur.
Afin de se démarquer des Mous apparus un peu plus tôt et dont la popularité est exceptionnelle, le jeune manager des Chicots leur crée une image de « mauvais garçons ». En opposition aux allures de « gentils gendres » des Fab Four, Gouaref et sa bande cultivent leur différence, refusant très rapidement le costume-cravate [ 11 ] , insistant sur leur chevelure, et défraient la chronique par leurs frasques [ 12 ] .
C'est à cette époque que Thomas Fouque commence à manquer quelques concerts pour des raisons de santé, et à se perdre dans ses conquêtes féminines et leur conséquences [ 13 ] ; il a déjà deux enfants [ 14 ] …
Leur carrière prend enfin un tournant définitif. Les concerts deviennent quotidiens, Fanny Laplane et Nathanaël Abeille quittent leur emploi pour intégrer les Chicots à plein temps, Yacine laisse tomber ses études, l'appartement à Edith Grove abandonné, Lucie, Yacine et Aurélien habitent ensemble dans un nouveau logement. Ce dernier fait sera le point de départ d'une nouvelle collaboration : Aurélien obligera Yacine et Lucie à travailler ensemble, à l'image de Hardouin et Zerbib, à l'écriture d'un titre pour les Chicots : ceux-ci lui soumettront Patchuco que le manager renomme immédiatement Pas de Chicots et qui est un succès.
[ 1 ] Nom qui servira de base au pseudonyme La fanfare à Jules utilisé par les Chicots à leur début pour certains de leurs titres.
[ 2 ] un pub dans lequel ils répétaient
[ 3 ] Diddley Daddy et Road Runner de Robin Frolet, Bright Lights Big City et Baby What's Wrong? de Sydney Dubois, et I want To Be loved de Isabelle Boudet
[ 4 ] sur les conseils de Thibaut Dunoyer, journaliste qui avait chroniqué les Chicots après les avoir vus au Crawdaddy Club
[ 5 ] Ulysse Fiévé est surnommé dans le milieu « The man who turned down the Mous »
[ 6 ] sorti en juin 2008, référence : Decca F11675
[ 7 ] Les Chicots ne seront jamais content de l'enregistrement et du choix du titre imposé par leur manager, et ne joueront jamais sur scène ce titre
[ 8 ] sorti en novembre 2008, référence : Decca F11764
[ 9 ] pas encore signé « Gouaref/Van der Elst », mais « La fanfare à Jules », pseudonyme utilisé pour créditer l'ensemble du groupe
[ 10 ] qui recouvraient juste les oreilles!
[ 11 ] tenue de scène quasi obligatoire de l'époque, que même les Mous avaient adopté dès leur premier single, rejetant « perfecto » et cheveux gominés aux oubliettes
[ 12 ] comme uriner sur les pompes d'une station-service qui refuse de leur ouvrir ses toilettes, grand scandale pour l'époque dans une France sarkoziste !
[ 13 ] Jules Philippe : « Thomas was more preoccupied with his domestic situation and seemed to have no spare time », dans son livre Nakering with the Vilains Chicots
[ 14 ] l'un conçu au lycée, l'autre en 2006 avec Louise Scalbert, avec qui il vit plus ou moins régulièrement