Sur la planète d’Isa, les bonhommes et bonnes femmes ont beau être façonnés de fer, leur bouche en « cul de poule », leurs yeux écarquillés en forme de bouton de chandail, leurs pinces de mains, leur râpe à fromage de robe nous disent qu’ils ne manquent ni de faiblesses, ni de fêlures, ni d’humour sur leur condition. Le plâtre, des fragments d’os parfois, mais surtout la main de l’artiste donnent cette pâte humaine aux objets recyclés. Voilà plus de sept ans qu’Isabelle explore le filon : ressusciter en sculptures les rebuts ferrés de notre société. Cette jeune artiste a donné matière à son art au cours d’un atelier « poste à souder » aux Beaux arts à Besançon. A l’époque, elle peignait encore : des portes, des fenêtres, des recoins… Autant d’images d’un monde cloisonné, d’un univers de solitude, d’un passage impossible à l’âge adulte. Depuis, elle a fermé la porte à cet univers à deux dimensions pour lui préférer le façonnage, le contact direct avec le métal, le sourire ludique des jeux d’enfants. En 1999, un travail pour le cinquantenaire des compagnons d’Emmaüs l’a mis résolument sur les rails de cette entreprise écolo-artistique. Elle n’a pas déraillé depuis. Même son « Homme-oiseau », même sa « Femme blessée », où l’on serait bien en mal de lire un objet de première nécessité, sont faits de ce métal recyclé, qui a été pour ces deux sculptures coulé. Qu’ils soient faits de boulons, tournevis, râpes, bouchons de bouteille de gaz, boîtes de conserve, queues de tire-bouchon, canevas, plaquettes de frein, clef, roulettes, manivelles, crochets – mais arrêtons là l’inventaire - les vertébrés se sont multipliés dans la galaxie d’Isabelle. Une vraie génération spontanée d’hommes, de femmes, d’oiseaux, de poissons, de chiens, de chats et autres drôles d’animaux. Certains personnages ne manque pas de tranchant voire sont carrément menaçants, mais jamais méchants. Prenez « Assassin », chouchou de sa créatrice, ou « Glouton » et sa gueule en dent de scie. D’autres s’imposent comme un clin d’,,il comme la « Berthe » à la patte qui roule. D’autres encore tentent de faire tant bien que mal avec leur posture sur le fil, leurs bras trop long, leur tête au carré. Pour porter ce petit peuple, nul besoin de concept. Le travail d’Isabelle Lameloise est plus de l’ordre du faire que du dire. Sans idée ni dessin préconçus, elle se laisse porter par les vagues de son imagination, guider par le potentiel plastique de l’objet, trouvé dans la rue, les décharges, les cuisines ou rapporté par ses émissaires. Si elle ne dédaigne pas les références à ses aînés, à commencer par celle des arts premiers africains, elle ne saurait s’abonner à une école, fût-ce-t-elle appelée « art récup’ ». Une seule règle la guide : que le métal soit mangé par la rouille. Parce que la rouille, c’est le vivant. L’artiste est prête pour cela à employer les grands moyens. Dans son atelier parisien, elle accélère le processus de vieillissement du fer et autres alliages en le patinant par le temps. La rouille n’est pourtant pas non plus une loi d’airain. Depuis peu, les sculptures d’Isabelle deviennent timidement polychromes. Enième pirouette de cette glaneuse assembleuse................................................. Maud Salignat.