Ces petites histoires de grands sonneurs, je les ai collectées depuis bien longtemps, comme on dit dans les contes de basse Bretagne. Je ne sais plus quel jour, ni quelle occasion. Ce furent d’abord des collections d’airs, de gravures, de photos jaunies, d’instruments enrubannés, de notes et de lectures grappillées par ci par là . Vingt, trente ans, sans doute davantage, que je les laisse envahir mes oreilles et ma tête en côtoyant les derniers Maîtres Sonneurs. Mais ils ne sont pas naïfs, et c’est donnant donnant, troc pour troc : un paquet de tabac contre un air de marche nuptiale ; une plume de paon contre une formulette venue du fond des âges pour faire danser les korrigans ; une bouteille d’eau-de-vie contre le secret des anches de seigle qui ne peuvent sonner que si elles ont été coupées la 7e nuit du premier quartier de lune, au 3e nœud, dans un champ exposé Sud-Est et semé à l’équinoxe d’automne. Séquelle de sorcellerie peut-être, mais surtout croyance dans la valeur supraterrestre des petites histoires de grands sonneurs.
Remonter le temps... Peut-être le plus ancien et le plus futuriste de nos fantasmes. Et l'on nous dit aujourd'hui, tel Stephen Hawking, que cette utopie n'en est pas une ? Et quand bien même, quelque hypothétique périple intertemporel ne nous aidera en rien dans notre travail de recomposition du passé : c'est parce qu'il est derrière nous, que nous sommes capables de la comprendre.
Cette constante nécessité d'alimenter la mémoire collective pousse l'Humanité à élaborer, conserver, déifier l'Image. Mais la quête du souvenir est peu à peu devenue sourde au monde, quand la jungle des bruits civilisés a éventé le message des sons essentiels.
Nos oreilles se sont peu à peu déhabituées des contrastes sonores propres à toute société traditionnelle. Du vrai Silence, troublé par d'improbables buissements, aux jours de fête et fêtes de nuit, la communauté bretonne décline sa palette sonore jusqu'au paroxysme du vacarme. Les faiseurs de bruit - binioù bombard taboulin -, ces sonneurs de grand air, le disputent alors aux volées fracassantes des cloches, aux voix retentissantes des crieurs de foire, au vrombissement des bassines de cuivre.
