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Sounds Like: Quand la philosophie traditionnelle donnait le primat à la pensée, à la raison, Mon Chéri propose un nouveau modèle: le corps. Il y a chez Mon Chéri la thèse du parallélisme des attributs. Qu'est-ce à dire? Les attributs sont parallèles c'est-à-dire qu'ils n'agissent pas l'un sur l'autre. Autrement dit, il n'y a pas de causalité entre l'esprit et le corps. Bien plus, aucun n'est supérieur à l'autre. Si Mon Chéri refuse toute supériorité de l'âme sur le corps, il n'y a pas non plus supériorité du corps sur l'âme. Il y a parallélisme des attributs, c'est-à-dire qu'à chaque modification de l'Un correspond une modification de l'Autre, et même de tous les autres (puisqu'il en existe un nombre infini), sans qu'il y ait interaction des attributs entre eux. La signification pratique du parallélisme apparaît dans le renversement de la théorie traditionnelle (notamment cartésienne) qui pensait la morale comme entreprise de domination du corps par la pensée : quand le corps agissait, l'âme pâtissait (passion), quand l'âme agissait, le corps pâtissait (liberté). D'après Spinoza, au contraire, ce qui est action dans l'âme est action dans le corps, ce qui est passion dans le corps est passion dans l'âme. Ainsi, par exemple, imaginer quelque chose de joyeux entraîne parallèlement (mais non causalement) une modification corporelle qui me fait éprouver physiquement de la joie. Pour Mon Chéri, le corps dépasse la connaissance que nous en avons et la pensée dépasse la conscience que nous en avons. C'est donc par un seul et même mouvement que nous arriverons, si c'est possible, à saisir la puissance du corps au-delà des conditions données de notre connaissance et à saisir la puissance de l'esprit au-delà des conditions de notre conscience. Pour Mon Chéri la conscience est le lieu d'une illusion: elle ignore les causes. Nous subissons les objets extérieurs. Nous sommes déterminés par les causes extérieures que nous subissons sans les comprendre. Or, en quoi consiste l'ordre des causes? Quand un corps rencontre un autre corps, ou une idée une autre idée (les deux se font parallèlement), il arrive tantôt que les deux se composent pour former un tout plus puissant, tantôt que l'un décompose l'autre et détruise la cohésion de ses parties. L'ordre des causes est donc un ordre de composition et de décomposition. Nous éprouvons de la joie quand un corps rencontre le nôtre et se compose avec lui. Nous éprouvons de la tristesse lorsqu'un corps menace notre cohérence. Nous recueillons donc seulement ce qui arrive à notre corps et ce qui arrive à notre âme c'est-à-dire l'effet d'un corps sur le notre et parallèlement l'effet d'une idée sur la nôtre. Mais l'ordre des causes nous l'ignorons. Nous avons, pour reprendre le vocabulaire de Mon Chéri, des idées inadéquates c'est-à-dire confuses, mutilées, effets séparés de leurs propres causes. Nous ignorons mais nous désirons connaître. Il y a en nous quelque chose qui nous fait désirer connaître. Dès lors, pour échapper à l'angoisse de l'ignorance, nous allons interpréter au moyen d'une double illusion ce qui nous arrive:* Première illusion: il est une forme de causalité que nous avons l'impression de comprendre immédiatement: celle que nous exerçons sur le monde. Nous ignorons la nécessité universelle (la nature pour Mon Chéri est strictement déterminée, la nature est l'ordre de la nécessité), nous ignorons n'être qu'un mode d'un attribut, mode subissant les autres modes. Nous croyons être libres alors que, soumis aux passions et ignorants, nous sommes les jouets des circonstances. Puisque nos actions aboutissent à certains résultats, nous pensons que nous agissons en vue de ces résultats sans voir que d'autres causes nous font agir. La conscience se prend pour cause première. Elle invoque même son pouvoir sur le corps. C'est l'illusion du libre arbitre. * Cette première illusion va en entraîner une seconde: passant de la considération de nos œuvres, nous allons passer à celle des phénomènes naturels et leur appliquer cette pseudo-explication finaliste. Double erreur: nous allons appliquer illégitimement, parce que hors de son contexte, un schéma déjà faux par avance. À propos de n'importe quoi, la question va se transformer insidieusement en " en vue de quoi? ". En vue de quoi a été faite la nature? Nous remarquons qu'elle nous est utile puisque nous employons ses matériaux. Nous en venons à dire, petit à petit, que la Nature entière est un système de moyens mis au service de nos propres fins. Nos organes eux-mêmes semblent avoir été faits pour notre utilité (les yeux pour voir, les dents pour mâcher etc.) Nous connaissons la fin, nous connaissons le moyen. Reste à connaître le troisième terme: l'agent. En effet ce n'est pas nous mais ce ne peut être qu'un être analogue à nous puisqu'il agit intentionnellement quoique beaucoup plus puissamment. Dès lors nous inventons Dieu, être tout puissant à l'image de l'homme. La conscience ignorante pour comprendre se réfugie dans l'illusion, en inventant les dieux personnels, anthropomorphes.Double illusion: illusion de la liberté, illusion de la finalité du monde. La conscience est lieu de l'illusion. Mais qu'est-ce qui pousse à agir la conscience, qu'est-ce qui fait qu'elle veut connaître et, voulant connaître, s'illusionne? Qu'est-ce qui est cause de ses actions alors même qu'elle se croit libre? Ce qui pousse à agir la conscience c'est le conatus. Qu'est-ce que le conatus? Pour Spinoza chaque mode s'efforce de persévérer dans son être et cet effort, ce désir, qu'il appelle conatus, caractérise l'essence de cette chose. Par exemple, notre raison individuelle, qui est mode de l'attribut Pensée, cherche à persévérer dans son être c'est-à-dire à penser davantage, à se réaliser en tant que pensée. La substance divine (Dieu) est un individu qui cherche aussi à persévérer dans son être. Elle est Nature naturante, c'est-à-dire qu'elle se produit elle-même, qu'elle cherche à se produire. Mais elle est aussi Nature naturée, en tant qu'elle est le résultat de cette production. La Nature est donc à la fois nature naturante et nature naturée. Elle se produit elle-même et est le résultat de sa propre production. La Substance naturante est, nous l'avons dit, composée d'attributs. Dès lors la Substance leur influe de l'intérieur, son aspect naturant. Pour la Substance, persévérer dans son être c'est faire en sorte que ses attributs persévèrent dans leur être puisque les attributs c'est elle. Or les modes font partie des attributs. Le conatus de chaque individu, y compris le conatus humain, est donc en fait causé par le conatus divin. C'est Dieu qui est cause du conatus des hommes et donc de toutes les actions qu'ils font. Leur activité leur vient de Dieu (Dieu qui n'est rien d'autre que la Nature, rappelons-le) qui les pousse à agir et à connaître. On voit donc quelle est l'illusion de la conscience qui se croit libre, qui croit agir en fonction de la finalité mais qui, en fait, n'agit que parce que la Substance (Dieu) la fait agir. Mais le conatus nous pousse à agir différemment selon les objets rencontrés. Dès lors nous devons dire qu'il est, à chaque instant, déterminé par les affections qui nous viennent des objets. Quand l'objet rencontré se compose avec nous, notre conatus réussit à persévérer dans son être (nous éprouvons de la joie). Quand il tend à nous décomposer, il empêche le conatus de persévérer dans son être (c'est la tristesse). La conscience apparaît donc comme le sentiment continuel du passage de la joie à la tristesse et de la tristesse à la joie. L'objet qui convient à ma nature la détermine à se réaliser, à former avec lui une totalité supérieure. Ce qui ne me convient pas, au contraire, compromet ma cohésion et tend à me diviser en sous-ensemble qui, à la limite, me détruisent (mort). La conscience est donc sentiment du passage de l'un à l'autre. En somme, elle est purement transitive. Elle n'a que valeur d'information (et d'information mutilée). Tout vient de ce que, en ce qui concerne le conatus des individus finis, une contradiction apparaît entre la nécessité d'être et la difficulté d'être. Les modes veulent être, par leur conatus, mais, en tant que finis, ont du mal à être. Ils tendent à s'actualiser mais leur finitude ne leur permet pas d'y arriver. Les modes finis, conditionnés par leur attribut infini correspondant, entrent en interaction avec les autres modes de cet attribut infini. C'est le tout englobant ces parties que sont les modes, c'est-à-dire chaque Attribut infini et par conséquent la Substance, qui peut s'actualiser entièrement. Infinie, la Substance ne rencontre pas d'obstacles. Une essence singulière quelconque va donc être amenée à s'actualiser par la conjonction de sa propre force d'extension et de celle de toutes les autres essences singulières. Mais si l'on considère, non pas le tout, mais les modes finis, il est certain que la coopération entre conatus se transformera un jour ou l'autre en antagonismes empêchant les conatus des modes finis de s'actualiser. D'où la tristesse de l'individu. Comme tout individu, l'homme ne désire qu'une chose: persévérer dans son être c'est-à-dire qu'il est effort pour actualiser les conséquences de son essence individuelle. Deux cas de figure se présentent alors:* L'homme connaît: son conatus cherche à se réaliser et le fait en connaissance de cause. Il faut bien voir que pour Spinoza l'individu est un. Le conatus n'est pas une partie de nous-mêmes mais nous-mêmes tout entier et l'effort que nous faisons pour conserver notre être ne se distingue pas de l'être que nous nous efforçons de conserver. De plus la raison n'est pas autre chose que nous-mêmes. À cause du parallélisme des attributs, il suffit que notre pensée se développe pour que le corps se développe, dans la mesure où ce qui les fait agir tous deux (la Substance) agit en même temps dans tous les Attributs. Dès lors tendre à se développer soi-même c'est tendre à développer sa raison en tant qu'elle a des idées adéquates (claires et distinctes). Mais qu'est-ce qui se déduit de nos idées claires et distinctes sinon d'autres idées claires et distinctes? Dès lors, nous tendons à comprendre et à comprendre toujours plus. De ce fait le rôle de la raison ne peut se réduire à un rôle purement instrumental. Lorsque la raison nous dirige elle ne désire que s'actualiser au maximum. Parce que vivre est à soi-même sa propre fin (nous voulons persévérer dans notre être) et parce que la raison n'est pas autre chose que nous-mêmes, la vie de la raison est, chez l'homme, fin en soi et non moyen. L'effort de comprendre n'est autre que le conatus parvenu à son plus haut degré d'efficience, le désir de connaître est la vérité du désir d'être. Si la science nous sert à organiser notre expérience de façon à jouir harmonieusement de toutes les commodités de l'existence, cet aménagement rationnel de la nature n'est plus qu'un moyen pour constituer un milieu favorable au développement de la connaissance. Ainsi le conatus de l'individu humain, en tant que celui-ci connaît sa propre nature, se résume à cette seule formule: connaître et connaître pour connaître. Tel est le fondement de l'existence humaine selon Spinoza. Il doit nous permettre de réaliser notre nature même et nous permettre la joie, joie qui résulte de la réalisation de notre nature permise par la connaissance de cette nature. Selon le parallélisme des attributs, si le conatus de l'individu humain, en tant qu'il connaît suffisamment pour échapper le plus souvent aux passions, consiste à connaître toujours davantage, le corps agira de plus en plus selon ses vrais besoins. La raison en est toujours la même : ce qui nous pousse à actualiser nos pensées (Dieu), nous pousse parallèlement à actualiser notre corps. Ce n'est pas la pensée qui nous permet de réaliser nos besoins corporels, mais pensée et réalisation des besoins ont même cause en Dieu et se réalisent parallèlement. * L'homme ignore sa nature: c'est le cas de la plupart d'entre nous. Personne ne naît raisonnable et peu de gens le deviennent. Pourtant ce que font les ignorants découle de leur conatus. Mais, à la différence des gens qui savent (et qui donc cherchent à connaître et à agir uniquement en fonction de leur conatus), les ignorants se laissent agir par les causes extérieures. Ce qu'ils font découlera de leur conatus, mais d'un conatus modifié par les causes externes, causes qui font d'ailleurs aussi partie de ce grand tout qu'est Dieu. Les conatus de ces causes manifestent Dieu. Les désirs de l'ignorant manifestent aussi la puissance de Dieu. Le conatus voit son orientation déterminée par les causes extérieures que nous subissons sans comprendre: c'est la passion. Dès lors, c'est au hasard des causes que l'homme éprouvera joie et tristesse selon qu'il rencontre ou non des causes favorables à son conatus qui, certes, cherche obstinément à connaître mais qui, dans l'ignorance, ne tire de ce désir de connaître que des illusions finalistes. La joie existe quand une cause extérieure favorise notre conatus et augmente notre puissance de connaître. Par là même nous allons rechercher ce qui est joyeux, ce qui est un premier pas vers la conscience de ce que nous sommes car, puisque nous cherchons à réaliser notre conatus (même sans le savoir), nous recherchons ce qui est joyeux.
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