L’œuvre d’Ivan Karamazov fut décisive dans l’histoire de la musique occidentale; elle reste cependant encore largement méconnue. Trop révolutionnaire pour son époque, effacé par la réussite de ses successeurs tardifs, il ne lui aura jamais été reconnu le statut pourtant mérité de pionnier de la pop music. Pour la première fois, grâce aux nouvelles techniques de remasterisation analogique, quelques fragments de sa musique sont proposés au public.
C’est le 3 mars 1832 que naît Ivan Karamazov, à Dvogitch, petite bourgade minière située au sud de Saint-Pétersbourg. On sait qu’il passa une enfance heureuse dans l’exploitation de ses parents, riches aristocrates protégés par le Tsar. Son intérêt pour les arts se manifeste très tôt ; il livre en particulier une admiration sans bornes à Alexandre Pouchkine dont la poésie exaltée fait écho à ses penchants rebelles, lui qui commence à se sentir prisonnier d’un univers familial très marqué par le strict respect des préceptes de l’Eglise orthodoxe de Russie. Lorsqu’il atteint ses 16 ans, son père l’envoie à Saint-Pétersbourg pour y étudier le droit : destiné à reprendre l’exploitation paternelle, il ne devait pourtant jamais revoir son village natal.
C’est dans l’envoûtante cité russe qu’Ivan se découvre une passion qui ne le quittera jamais : la musique. Négligeant ses études, il se rend chaque soir à l’opéra où sont jouées les œuvres du répertoire classique. En parallèle, il mène une vie dépravée dans les bas-fonds de la cité, passant ses nuits au cabaret en compagnie de jeunes artistes et dilapidant l’argent familial en alcool et en femmes faciles. Il compose alors ses premiers vers, mais ceux-ci ne nous sont malheureusement pas restés. C’est vers cette époque qu’il fait la connaissance de l’écrivain Fédor Dostoievski, avec qui il partage non seulement un goût immodéré pour la prose de Pouchkine mais aussi une terrible affliction : l’épilepsie (le haut mal comme on l’appelait à l’époque) (1). En 1850, la mort de sa mère, victime de la phtisie, achève de détériorer ses relations avec son père, avec qui il semble s’être violemment disputé lors de la visite de ce dernier en février de la même année.
Se retrouvant sans le sou, le jeune homme s’embarque dans la marine marchande en 1851 ; pendant sept années à propos desquelles très peu d’informations nous sont restées, il parcourt le monde : les Indes, l’Afrique noire et bien sûr l’Europe font partie de ses principales escales. Il séjourne quelque temps en Angleterre au cours de l’année 1856 : là , à travers la lecture d’Edgar Poe, il se prend d’amour pour la langue anglaise, qu’il assimile rapidement. C’est dans cette langue, qu’il admire pour son phrasé musical, qu’il compose ses poèmes les plus fameux ( The Willow Over the Sun 1856, Ode To My Mother 1857 ).
Mais de nouveaux horizons l’appellent : l’avenir réside dans le Nouveau Monde, et c’est à Boston que le 22 juillet 1858, Ivan Karamazov débarque pour chercher fortune. Nous en savons peu sur ses premières années aux Etats-Unis, toujours est-il que trois ans plus tard, notre Russe exilé a fondé une famille dans le New Jersey : il est désormais marié à Emily Haley, fille d’un riche propriétaire terrien, avec qui il donne naissance à deux enfants. Devenu gérant d’une petite fabrique de métaux, Karamazov ne s’est pas pour autant assagi : fervent défenseur de l’égalité des races, il n’hésite pas à prendre les armes lorsque éclate la guerre de Sécession en 1861. Ses crises d’épilepsie, de plus en plus fréquentes, l’empêchent toutefois de combattre jusqu’à la fin de la guerre et il se retire chez lui en 1864. Sa santé mentale est alors défaillante : il est quotidiennement victime d’hallucinations et passe des heures entières enfermé dans son bureau, avec pour seule compagne une guitare (il a appris à en jouer au contact des esclaves noirs qu’il a rencontrés dans le sud du pays).
C’est dans cette pièce qu’Ivan Karamazov, alors âgé de 32 ans, devait créer une des œuvres les plus avant-gardistes de son époque. Au moyen d’un appareil phonographique, il enregistre alors les tous premiers morceaux de pop music de l’Histoire. Un siècle avant les Beatles, Karamazov compose des mélodies inspirées des chants traditionnels des esclaves ; sa manière inédite d’appréhender la musique est révolutionnaire à plus d’un titre : pour la première fois, la guitare est utilisée comme un instrument purement rythmique dont Ivan se sert pour imiter les spasmes de ses crises, tandis que sa voix nasillarde et approximative hurle comme un possédé des textes inspirés à la fois de sa vie quotidienne et de ses hallucinations. Le morceau Too Late ici présenté en donne un exemple saisissant. Incompris par ses proches, considéré au mieux comme un déséquilibré, au pire comme un dangereux envoyé du démon, il s’attire les foudres du Ku Klux Klan qui ne lui pardonne ni son engagement en faveur des abolitionnistes ni ses dérives païennes et le capture en février 1865. Il meurt pendu quelques jours plus tard, la date de son anniversaire.
(1) Sa rencontre avec le jeune homme fiévreux qu’est alors Ivan semble avoir profondément marqué l’écrivain, puisqu’il utilisera son nom trente ans plus tard pour son roman éponyme.