[...] un petit corps rose, translucide (je pensai aux statuettes chinoises en verre laiteux), semblable à un petit lézard de quinze centimètres, terminé par une queue de poisson d'une extraordinaire délicatesse - c'est la partie la plus sensible de notre corps. Sur son dos, une nageoire transparente se rattachait à la queue ; mais ce furent les pattes qui me fascinèrent, des pattes d'une incroyable finesse, terminés par de tout petits doigts avec des ongles - absolument humains, sans pourtant avoir la forme de la main humaine - mais comment aurais-je pu ignorer qu'ils étaient humains ? c'est alors que je découvris leurs yeux, leur visage. Un visage inexpressif sans autre trait que les yeux, deux orifices comme des têtes d'épingles entièrement d'or transparent, sans aucune vie, mais qui regardaient et qui se laissaient pénétrer par mon regard qui passait à travers le point doré et se perdait dans un mystère diaphane. Un très mince halo noir entourait l'oeil et l'inscrivait dans la chair rose, dans la pierre rose de la tête vaguement triangulaire, aux contours courbes et irréguliers, qui la faisaient ressembler à une statue rongée par le temps. La bouche était dissimulée par le plan triangulaire de la tête et ce n'est que de profil que l'on s'apercevait qu'elle était très grande. Vue de face, c'était une fine rainure, comme une fissure dans de l'albâtre. De chaque côté de la tête, à la place des oreilles, se dressaient de très petites branches rouges comme du corail, une excroissance végétale, les branchies, je suppose. C'était la seule chose qui eût l'air vivante dans ce corps. Chaque vingt secondes elles se dressaient, toutes raides, puis s'abaissaient de nouveau. Parfois une patte bougeait, à peine, et je voyais les doigts minuscules se poser doucement sur la mousse. C'est que nous n'aimons pas beaucoup bouger, l'aquarium est si étroit ; si peu que nous remuions nous heurtons la tête ou la queue d'un autre ; il s'ensuit des difficultés, des disputes, de la fatigue. Le temps se sent moins si l'on reste immobile. [...] __________________________________________________________ Julio Cortázar, "Axolotl", in Les Armes Secrètes (1959)