Il y a toujours eu comme un malaise entre le rap et la chanson française. D'un côté, des rappeurs qui reprochent aux chanteurs de ne parler que d'amour, tout en espérant grappiller auprès d'eux un peu de reconnaissance et de légitimité artistique. De l'autre, des chanteurs qui oscillent entre bienveillance polie et rejet outré. En 20 ans de visibilité du rap en France, finalement peu de choses ont changé, au point qu'en 2007, on peut encore entendre des tôliers de l'industrie du disque proférer le plus sérieusement du monde que "le rap a fait énormément de mal à la scène musicale française".
A quoi pensaient alors Dreyf & Catharsis – un rappeur, un producteur – quand ils ont décidé de réaliser un album de rap autour de Charles Aznavour ? A réconcilier les contraires ? A flirter avec les limites du genre pour séduire cet auditoire précieux qui "écoute de tout sauf du rap" ? A combler un manque d'inspiration en s'accrochant à l'influence d'un géant de la musique contemporaine ?
Réponse du duo : "C'est tout simplement une expérience musicale intéressante. Choisir un artiste, un univers sonore, et explorer les limites de cet univers pour en ressortir quelque de chose de personnel et d'abouti."
Au micro donc, Dreyf, 22 ans. Un premier Ep, "Son d'automne", l'a fait entrer dans la catégorie des rappeurs à suivre. Introspectif et dense, ce premier projet avait la gravité de ceux qui injectent toute leur vie dans leur musique. Depuis, le style s'est affiné, privilégiant autant l'écriture que le style.
Catharsis, lui, continue un parcours qui l'avait déjà amené à s'immerger dans l'univers d'une autre légende, du rap cette fois : Jay-Z, en remixant son "Black Album" en 2004. Sa collaboration avec Dreyf a commencé un an plus tard, lors du EP "Son d'automne". Depuis, les deux artistes n'ont cessé de travailler ensemble jusqu'à décidé, comme une évidence, de bâtir un album autour d'une de leurs influences communes : Charles Aznavour.
A quoi pourrait bien ressembler cet album ? "Il ne s'agira pas d'un album de reprises, ni d'une succession d'énormes clins d'..il aux succès d'Aznavour", précise Catharsis, "on fait un album de rap, avec un souci de cohérence globale et de respect de l'artiste samplé."
Le premier extrait de l'album, "Comme dans un coin du Bronx" résume la démarche des deux artistes : faire de la musique pour s'affranchir du poids du quotidien. Dans le morceau original, "Je ne connais que toi", sorti en 1978, Charles Aznavour lançait un hommage vibrant à la musique, sa véritable muse. Près de 30 ans plus tard, Dreyf, lui, évoque le même sentiment sur un refrain en forme de question-réponse : "Pourquoi tu chantes comme si tu volais dans les airs ? Pour pas qu'j'déjante à force d'arpenter le désert". L'instrumental, une descente de piano et une envolée de violons recomposés à partir du titre d'Aznavour, donne au titre une urgence et une énergie qui devraient surprendre ceux qui attendaient de la part du duo un hommage timide et scolaire.
"On est fier de ce titre, car il prouve qu'au-delà de l'hommage, on a pas honte de faire du rap. On s'est fixé beaucoup d'objectifs avec ce disque : ne pas trahir l'..uvre d'Aznavour est une priorité, sans pour autant se faire écraser par le poids de son influence. "
Surprise : le projet a d'ores et déjà intrigué le biographe de Charles Aznavour, Bernard Réval, qui donnera la parole à Dreyf et Catharsis dans une nouvelle biographie de l'artiste à paraître en fin d'année. Le principal intéressé, lui, vient d'être contacté par le rappeur et le producteur. A suivre…
Explications, actualité, anecdotes, divagations en tous genres : retrouvez le making-of de l'album sur le blog de Catharsis : "Aznavour, Dreyf et moi" .
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