... Bonnie Parker ...

Ainsi vivait Méduse : chaque matin, avant de se brosser les cheveux, elle prenait soin de nourrir les mille neuf cent ving-huit serpents qui frétillaient sur son crâne. Elle les appelait par leur nom - Thorium, Argon, Rubidium, Strontium, Cadmium, Titane, Hélium... -, leur prodiguant quelques paroles flatteuses, puis, à tâtons, glissait une mouche morte dans chacune de leurs gueules. La digestion était immédiate. Quand leurs sifflements bilingues n'évoquaient plus qu'une inoffensive fuite de gaz, elle pouvait alors tenter d'ordonner la faune qu'était sa tignasse - enfant, Méduse enfouissait son visage dans des fourmilières et comptait jusqu'à cent, lèvres serrées, yeux clos, et de cette apnée monstrueuse elle tirait un semblant de jouissance. Mais le plus souvent elle se contentait d'enduire sa chevelure d'une pommade à base de barbituriques, attendait une vingtaine de minutes puis enchâssait le gras bouquet dans un bonnet de laine. Sa toilette était longue et douloureuse. Nue sur le carrelage de la salle de bains, elle passait sur ses bras du papier journal roulé en boule et imbibé d'essence, puis les lavait à l'eau savonneuse et, quand ils étaient secs, elle les polissait avec une peau de chamois. L'opération devait être répétée tous les jours, faute de quoi des taches vert-de-gris réapparaissaient, qu'il fallait assez vite éliminer au vinaigre chaud ou au jus de citron additionné de gros sel. S'en suivaient inévitablement de longs hurlements modulés, qui réveillaient les serpents, lesquels se déchaînaient, tout était à recommencer. La plupart du temps, elle se recouchait et restait des heures durant devant la télévision éteinte, sans répondre au téléphone, à épier son reflet cendré sur l'écran mort. Quand elle était adolescente, manger était un cauchemar, ses défenses de sanglier renversaient la carafe, rayaient la vaisselle, se fichaient dans le pain. Elle dut les arracher elle-même et cautériser ses gencives à l'aide d'acide chlorhydrique pour qu'elles ne repoussent pas. Il était une fois une fille qui s'appelait Méduse et qui le soir, pour s'endormir, comptait les cadavres de ses amants médusés.ClaroI edited my profile with Thomas' Myspace Editor V4.4